Je ne suis pas médecin, ni psycho-dieu-sait-quoi, ni même diplômée en quoi que ce soit, par contre, je suis malade et j’ai mis du temps à l’accepter. Beaucoup de temps.
Comme plein de gens, je suis allée regarder la définition d’anorexie sur Wikipédia :
« L’anorexie (du grec ancien : ἀνορεξία / anorexía, « absence d’appétit ») est, du point de vue strictement médical, un symptôme qui correspond à une perte de l'appétit. ».
Sur ce point, je ne peux qu’être d’accord, les Grecs, je les contredis pas, de toute façon c’est un poil tard. C’est après que je commence à grogner.
« Dans les faits, le terme est abusivement utilisé pour désigner l'anorexie mentale qui est un trouble psychopathologique complexe et spécifique, au cours duquel il n'y a pas de perte de l'appétit mais au contraire une lutte active contre la faim. ».
Abusivement, oui, parce que je suis anorexique, quand je vais mal, je perds l’appétit, mais dès que ma vie va bien, je suis exactement comme Madame-tout-le-monde. Sauf qu’on me classe dans la case « anorexie mentale » parce que j’ai tendance à perdre un poids hallucinant dès que je déprime 5 minutes.
En fait, ce n’est pas absolument de ça dont je voulais parler, parce qu’au final, c’est un peu comme si je vous disais « j’ai attrapé un cancer, mince, on me regarde de travers ».
Mon histoire commence il y a longtemps. Presque. J’avais 14 ans et j’étais une fille normale, un peu timide, trop grande, trop mince, trop grande gueule, qui a tendance à ne pas rester en place, qui refuse l’autorité, qui aimerait qu’on l’aime (surtout les garçons, tiens), qui sait trop de choses trop souvent, qui la ramène parce qu’elle aime bien l’exactitude, qui rêve de devenir archéologue, ou mathématicienne, ou physicienne, ou n’importe quoi qui en jette.
Une fille normale qui, forcément, est tombée amoureuse. J’étais le genre de jeune fille qui peut prétendre avoir 17 ans alors qu’elle en a 14. Le genre qui aimerait grandir plus vite, devenir une femme, pouvoir prendre toutes les décisions, s’assumer, être considérée comme une adulte, traitée comme une adulte mais qui n’a pas forcément compris que les choses marchent rarement comme on voudrait qu’elles soient.
J’ai passé un été avec le jeune homme (il faut bien l’avouer, majeur) que j’aimais. Il m’a fait découvrir les sorties, mon corps, la drogue, l’alcool, la cigarette, la sensation d’être désirée, aimée et un jour, il a disparu de ma vie sans réellement prévenir, sans réellement expliquer. Parce que c’était trop dur d’avoir une copine beaucoup trop jeune.
A ce moment-là, je suis tombée malade. D’un coup. On m’a pas brisé le cœur, non, je n’ai pas perdu un rein, je ne suis pas devenue folle, j’ai simplement commencé un cycle infernal presque impossible à briser. Celui de se contrôler non-stop. Celui de vouloir disparaître. De n’être plus rien du tout. Pas question de mourir, solution de facilité. Non, disparaître, petit à petit, comme un visage qui s’estompe de la mémoire. Je voulais souffrir. Le faire souffrir. Qu’il assiste à ma démolition, qu’il en pâtisse, qu’il s’excuse, qu’il me console. Sauf qu’il n’est jamais revenu.
J’ai commencé petit à petit à diminuer la quantité de nourriture que je mangeais. Pour que ça reste discret. J’ai commencé à réellement fumer (pas que des cigarettes), j’ai pris l’habitude de mettre des habits amples, qui cachaient mon corps, pour qu’on ne me soupçonne de rien.
Pendant un an et demi, j’ai plus ou moins réussi à ne pas trop inquiéter les gens. Ou à les éviter assez. Puis, entrée au lycée, je me suis rendue compte qu’à force de me détruire, j’avais pris trop de retard, je ramais, mes notes étaient catastrophiques et je passais plus de temps au bord du lac à fumer des joints avec mes potes cassés rastas comme moi qu’à aller en cours. J’ai redoublé mon année après avoir passé un semestre à travailler par-ci, par-là.
En revenant en cours, je n’y croyais même pas. Le premier jour, je savais déjà pertinemment que je n’aurais pas la force. Je ne pouvais pas tout contrôler. Je ne pouvais pas me droguer, trouver de l’argent pour le faire, avoir des notes convenables en cours, faire quelque chose de positif de ma vie et essayer de casser tout ce que j’étais en même temps.
Parce que j’essayais encore et toujours de disparaître. Même si à force, c’était devenu une vieille habitude presque inconsciente. Manger me rendait malade, de toute façon.
J’ai passé l’automne et l’hiver de mes 17 ans au fond de mon lit. Bronchite, bronchite, bronchite, pneumonie.
Mon indice de masse corporelle indiquait que j’étais morte.
A lire aussi :
♥ Comment j'ai accepté mon corps
♥ La dysmorphophobie, késako ?
♥ Vis ma vie d'hyperphage
♥ Être (trop) mince, un combat de tous les jours ?