Beauté

J’ai lu L’Œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar

24 septembre 2015 - 17 : 52

J’aurais adoré adorer. Mais j’ai assez royalement échoué. Déjà parce que malgré plusieurs jours de vacances sous la pluie fin août, je n’ai fini ce livre que le 12 septembre. 1 mois = 1 classique = raté. Il m’aura fallu plus d’un mois pour ce celui-ci, récompensé du prix Femina en 1968 à l’unanimité. Ensuite parce que c’était très laborieux, lourd, difficile, presque inaccessible. Et pourtant, je crois / je pense… être rentrée dans l’histoire.

L’histoire c’est celle de Zénon, alchimiste et médecin du XVIème siècle qui nous emporte sur son chemin de vie entre Moyen-Âge et Renaissance, tradition et modernité, entre les bonnes pensées (celles validées par les instances supérieures) et les autres (de ceux qui aimeraient comprendre ou voir peut-être un peu plus loin). Mais ce sont aussi d’autres personnages qui s’entremêlent dans ce contexte et surtout une plume affutée, documentée et fidèle à une période de l’histoire qui m’est bien étrangère.

Marguerite Yourcenar respecte ses personnages et ne leur fait pas l’affront d’un trop de modernisme dans l’alignement de ses mots. Le langage est soutenu et les phrases parfois complexes.

Les premiers mots : "Henri-Maximilien Ligre poursuivait par petites étapes sa route vers Paris".
Les derniers : "Et c’est aussi loin qu’on peut aller dans la fin de Zénon".

Au travers de trois grandes parties (la vie errante, la vie immobile, la prison), nous suivons l’évolution d’une société entre la France, la Belgique et la Hollande. On imagine le livre documenté et plein de ces recherches qui caractérise les grands auteurs dans leur volonté d’apprivoiser ce qu’ils n’ont pu vivre par eux-mêmes. Marguerite Yourcenar ne nous conte pas l’Histoire d’un de ses contemporains, mais elle s’arrête sur une page de notre histoire qui a bel et bien contribué à façonner ce que nous vivons aujourd’hui, et que nous revivons par ailleurs, car l’Histoire n’est finalement que répétition. En cela, le livre me semble passionnant mais difficile. Et c’est malheureusement ce deuxième adjectif qui a pris le pas sur le premier.

Mon édition cependant m’offrait un trésor sur les dernières pages : les carnets de notes de « l’Œuvre au Noir », puis les notes de l’auteur. Les mots de Marguerite Yourcenar elle-même, ses annotations, ses commentaires et ses révisions ont déclenchés en moi un intérêt que j’ai été incapable de trouver au fil des 440 pages de l’histoire. Elle nous y montre l’envers du décor, ces personnages qu’elle fait naître et grandir, remanie au fil des ans et confirme surtout la rigueur et l’importance de son travail de recherche donnant à son « Œuvre au Noir » une réalité presque documentaire.

Ainsi, page 451 : "Plus je vais, plus cette folie qui consiste à refaire des livres anciens me paraît une grande sagesse. Chaque écrivain ne porte en soi qu’un certain nombre d’êtres. Plutôt que de représenter ceux-ci sous les traits de personnages nouveaux, qui ne seraient guère que des personnages anciens prénommés autrement, j’ai mieux aimé approfondir, développer, nourrir ces êtres avec qui j’avais déjà l’habitude de vivre, apprendre à les mieux connaître à mesure que je connais mieux la vie, perfectionner un monde déjà mien. […] Je n’ai jamais cru non plus que je pusse me rassasier d’un personnage que j’avais créé. Je n’ai pas fini de les regarder vivre. Ils me réserveront des surprises jusqu’à la fin de mes jours."

MargueriteYourcenar

Morceaux choisis :

- Page 53 : "Sitôt la grand-route, il retrouva les bruits et les cris du siècle. Une bande de rustiques excités couraient avec des seaux et des fourches : une grosse ferme isolée brûlait, incendiée par un de ces anabaptistes qui maintenant pullulaient, et mélangeaient la haine des riches et des puissants à une forme particulière de l’amour de Dieu. Zénon commisérait dédaigneusement ces visionnaires sautant d’une barque pourrie dans une barque qui fait eau, et d’une aberration séculaire dans une manie toute neuve, mais le dégoût de l’épaisse opulence qui l’entourait le mettait malgré lui du côté des pauvres. Un peu plus loin, il lui arriva de rencontrer un tisserand congédié, ayant pris la besace du mendiant pour chercher subsistance ailleurs, et il enviait ce gueux d’être moins contraint que lui."

- Page 73 : "Elle se tenait devant lui, petite source insipide et pure. Il ne l’aimait point ; cette enfant un peu simple était sans doute le plus léger des liens qui l’attachaient à son court passé. Mais une faible pitié le gagna, mêlée à l’orgueil d’être regretté. Soudain, avec le geste impétueux d’un homme qui au moment du départ donne, jette ou consacre quelque chose, pour se concilier on ne sait quels pouvoirs ou au contraire se libérer d’eux, il ôta son mince anneau d’argent, gagné au jeu de bagues avec Jeannette Fauconnier, et le déposa comme un sou dans cette main tendue. Il ne comptait nullement revenir. Cette fillette n’aurait de lui que l’aumône d’un petit rêve."

- Page 242 : "Il se redressa tout songeur. Il s’était vu voyant ; échappant aux routines des perspectives habituelles, il avait regardé de tout près l’organe petit et énorme, proche et pourtant étranger, vif mais vulnérable, doué d’imparfaite et pourtant prodigieuse puissance, dont il dépendait pour voir l’univers. […] L’important était de recueillir le peu qu’il filtrerait du monde avant qu’il fît nuit, d’en contrôler le témoignage, et s’il se pouvait d’en rectifier les erreurs. En un sens, l’œil contrebalançait l’abîme."

- Page 345 : "- Ces fuyards, Monsieur, qu’on passe sur le Saint-Boniface…Ben sûr, c’est du profit pour tout le pays. Aujourd’hui même, à six que j’en ai vendu à manger. Et puis, il y en a qui font peine à voir… Mais on se demande tout de même si c’est là un trafic honnête. Les gens qui s’enfuient, ce n’est pas pour des prunes… Le duc et le Roi doivent bien savoir ce qu’ils font."

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MissERichard
SomethingToDoWithStars, c’est chez moi. J’y évoque ma vie de (jeune !) trentenaire, bossant dans les media qui, par ailleurs, tape des mots sur son clavier. Des mots plus ou moins romancés, documentés, impliqués. Des mots que je publie aussi sur un 2nd blog tourné media, ou que je conserve pour en faire, un jour, quelque chose... avec chapitres et numéros de pages.