Je suis à la piscine avec une amie. Notre passe-temps favori c’est de débattre sur nos vies sentimentales respectives en faisant des longueurs. Au milieu du bassin, tandis queje contourne une madame flottant fièrement sur un boudin fuchsia, elle me pose cette question : « Pourquoi ne me rappelle-t-il pas? » Sentant que l’on touche là à un point sensible, je lui propose de rejoindre le bord. C'est pour mieux me concentrer sur le sujet mais aussi, je l’avoue, par peur que sous le coup de l’émotion, elle ne boive la tasse et se noie.
RÉCAPITULONS : elle fait la connaissance de Benji, 31 ans, à une soirée. Il est célibataire depuis deux ans et père d’un enfant de quatre ans. Le courant passe tout de suite entre eux. Ils se revoient pour prendre un café et finissent par se retrouver pour partager d’autres bons moments. Au bout de quelques rendez-vous, il lui fait même rencontrer son fils. « Je pense qu’au moment où tu présentes ton gosse à l’une de tes fréquentations, c’est que tu es prêt à t’engager sérieusement, non ? », me dit-elle, décontenancée. Je ne peux évidemment pas la contredire. Ce mec charmant, attentionné et romantique était l’homme idéal pour elle. C’est pourquoi elle avait voulu lui signaler dès le début qu’elle avait besoin de temps pour retrouver confiance en l’amour, après avoir été traumatisée par sa relation précédente. En effet, le connard avec qui elle était restée pendant cinq ans lui reprochait sans cesse son manque de féminité. Il l’a plaquée pour une fille qui est le sosie parfait de Justin Bieber.
La dernière fois qu’elle a vu Benji, c’était un vendredi soir, il y a trois semaines. Il devait partir quelques jours en vacances avec son fils le dimanche suivant. « Je te rappelle dès mon retour », a-t-il dit. Et depuis ? RIEN.
« Je lui ai envoyé deux textos. Son silence m’inquiétait et je pensais que quelque chose de grave lui était arrivé », m’avoue-t-elle. Pour en avoir le cœur net, elle lui a aussi envoyé un message sur Facebook. « Tu sais, il y a la fonction Vu sur ce site permettant de savoir la date et l’heure où une personne a lu ton message », me dit-elle. Je crois d’ailleurs que les réseaux sociaux ont beaucoup contribué à la paranoïa, en particulier dans les relations sentimentales. « Je sais qu’il l’a lu jeudi à 10h34 », déclare-t-elle. Il n’a jamais donné suite.
« Alors je me pose la question : qu’est-ce qui cloche chez moi? Pourquoi l’ai-je fait fuir? », me demande-t-elle.
C’est le genre de situation que l’on a tous connue un jour ou l’autre, homme ou femme. Elle est d’autant plus traumatisante qu’il semble impossible d’en comprendre la raison. Alors on reste là, frustré, à ressasser le pourquoi du comment encore et encore, en essayant de déterminer le moment crucial où tout a basculé. Suis-je trop gros ? Trop pauvre ? Pas assez intéressant ?
On attend un appel, un mail, un texto, un pigeon voyageur, n’importe quoi mais une réponse ! On s’imagine la personne nous recontactant pour s’excuser du tort causé. Elle a une très bonne explication pour son silence : elle a été enlevée par la mafia russe qui l’a poussée à commettre les pires atrocités, mais pendant tout ce temps, son seul désir a été de nous revoir. On aime tellement se bercer de douces illusions. Dans tous les cas, si cet individu nous recontacte un jour ou l’autre, il est impossible d’anticiper notre réaction. Parce que l’on peut pardonner bien des choses à une personne, mais pas d’avoir perdu son temps. C’est là le point essentiel, car si ces spécimens avaient un minimum d’honnêteté, ils nous diraient clairement : « Cela fait plusieurs fois que l’on se voit et je ne ressens pas de sentiments particuliers pour toi. Je préfère en rester là. »
Le fait de ne pas rappeler amène la sempiternelle question de savoir quand commence une relation. On est d’accord pour considérer qu’il est plus excusable de ne pas donner signe de vie après le premier rendez-vous mais beaucoup moins la veille du mariage. Alors, quand être à peu près sûr que l’autre ne s’évaporera pas dans la nature ?
Ce genre de situation accentue le manque de confiance que l’on peut avoir en soi. Parce qu’étrangement, on ne remet jamais l’autre en cause, on préfère se répéter que nous sommes fautifs. Pourtant, c’est bien cette personne qui semble effrayée par l’engagement et totalement instable !
Au final, on ne saura jamais la raison qui l’aura fait fuir. Mais dans un sens, c’est peut-être mieux ainsi, car il y a pire qu’un connard ne rappelant pas, c’est un connard qui rappelle.