Je suis là, assise dans ce train et on dirait une mauvaise scène de film : les yeux rêveurs, une belle musique mélancolique et le soleil qui montre juste le bout de son nez. Moi assise là, dans ce train, en train d’écrire, mais écrire sur quoi ?
Sur le sommeil, sur la nuit, sur ce verbe que j’ai tant de mal à conjuguer à la première personne : dormir. Cette nuit, ils sont revenus au galop, la chevauchée fantastique qui me pourrit la vie depuis près de onze ans par période plus ou moins longue, j’ai nommé : Stress, Insomnie et Cauchemar, aussi connus sous le nom de la confrérie de la crise d’angoisse nocturne.
Ils se sont insidieusement glissés contre moi dans le lit où j’avais déjà si chaud, se sont collés à moi jusqu’à ce que je me réveille les yeux humides et la gorge comme prise sous un bloc de béton.
Ils m’ont chuchoté des « Et si… » plein d’angoisse et petit à petit, eux et moi nous n’avons plus fait qu’un. Ils ne viennent pas dans les phases où psychologiquement je suis forte et où simplement en secouant la tête et en ordonnant à mon cerveau d’arrêter de déconner à plein tubes, je les chasse. Non, ils pointent leurs sales faces rabougries quand les certitudes vacillent et que les doutes se déposent sur moi comme la pulpe au fond de la bouteille de jus d’orange.
Ensuite, le long ballet de la tentative de retour au calme commence : se lever, trouver refuge dans la salle de bain avec son carrelage froid qui apaise un peu la fièvre qui les suit partout et dépose une fine pellicule de sueur sur mon épiderme, ne surtout pas regarder mes mains qui, je le sais, tremblent, boire un verre d’eau puis un autre, m’asperger la figure et résister à l’envie de me mettre dans la baignoire toute habillée et de passer la fin de ma nuit dans l’eau fraîche, chercher fébrilement les cachets homéopathiques que je ne trouve jamais, m’asseoir sur les toilettes roulée en boules et tenter de respirer normalement, le tout en silence, surtout ne réveiller personne.
Puis retourner dans la chambre me remettre dans les draps frais à présents et attendre. Attendre encore et toujours ce sommeil, cette quiétude de la nuit qui ne vient pas. Chercher la position la plus confortable pour dormir et ne pas la trouver, avoir chaud, puis froid, puis chaud, essayer de penser à des choses qui pourrait me changer les idées. Mais rien n’y fait ils sont là, ils sifflent dans mes oreilles, font défiler dans ma tête des images de mes angoisses qui se réalisent, ma respiration devient saccadée, les sueurs froides me brûlent l’échine, j’ai le cœur au bord des lèvres. Je me lève a nouveau et je vais chercher le seul soutien que je connaisse, ma mère.
Elle se lève, me rejoint dans la salle de bain où la fatigue morale et physique me font sangloter en silence. Je lui dis que j’ai peur, fut un temps j’étais dans l’incapacité de mettre des mots sur mes angoisses, aujourd’hui j’ai tellement bien apprivoisé les mots qu’ils viennent tout seuls.
Elle me rassure comme elle peu puis elle me prend dans ses bras. Ensuite, je retourne me coucher et la fatigue que j’accumule depuis des années finit par l’emporter sur le reste. Si je me suis vraiment vidé la tête avant, en général, je me rendors jusqu’au matin, si ce n’est pas le cas je passe une nuit hachée ou je me réveille entre chaque rêve dans une sorte de coma brumeux.
Ça, c’est dans les bons jours, et depuis quelques années, parce qu’à force de les côtoyer j’ai fini par apprendre plein de ruses pour déjouer les plans de la Confrérie de la crise d’angoisse nocturne.
Mais ça n’a pas toujours été le cas. Il a fallu apprendre à lutter contre ces vagues d’angoisses glacées qui me donnent l’impression de suffoquer et de me noyer dans mes larmes. Dès que mes yeux se fermaient, voilà qu’arrivaient les tremblements, les difficultés respiratoires, les larmes et cette impression que la nuit ne finira jamais. Alors il a fallu ruser, faire croire au cerveau, au corps et donc à soi même que je n’avais pas besoin de dormir.
Et pour ça, j’ai lu, j’ai lu jusqu’à ce que mes paupières soient lourdes et que mes yeux se ferment. Oui, j’ai lu jusqu’au matin même, quand les premières lueurs du jours filtrent par les volets, signe de la délivrance, du soulagement, de la fin de la lutte épuisante. La nuit d’après, il fallait recommencer la même chose jusqu’à ce que le corps épuisé demande au cerveau de mettre ses angoisses en sourdine pour que tout le monde puisse pioncer en paix. La troisième nuit, je dormais, trop épuisée pour laisser le temps aux angoisses d’apparaître.
J’ai passé un peu plus de sept années à dormir ainsi, une nuit et demie sur trois. Aujourd’hui, je maîtrise mieux mes nerfs et la nuit, mais il m’arrive encore parfois d’avoir des angoisses que je tente de museler tant bien que mal jusqu’au lendemain matin. Quand vraiment c’est impossible, j’écris, je couche mes angoisses sur papier ou dans un texto destiné au panda, à la photographe, à ma meilleure amie. Je sais qu’ils ne répondront pas tout de suite mais avoir mis des mots sur mes angoisses, les avoir sorties de mon cerveau leur donne moins d’emprise sur moi.
A l’air libre, la confrérie de la crise d’angoisse nocturne se ratatine et perd de sa superbe. Malheureusement, il n’y a pas de recette miracle et quand mes copines sont victimes de ces trois-là et me demande comment faire pour les vaincre, je n’ai pas toujours la réponse.
La plupart du temps, il faut laisser ces trois vampires vous aspirer toute détente et ensuite, attendre le matin en se disant que la nuit d’après on dormira mieux.
Parce que, dans certain cas, il n’y a rien de meilleur que dormir. Seulement voilà, la nuit parfois efface nos angoisses mais malheureusement, d'autres fois, elle les décuple. Et contre ça, je n’ai pas encore trouvé le moyen de lutter.