Parfois, le monde, mon monde, me semble tourner à l’envers. Et puis au milieu du tumulte, un tabouret rose me ramène à des préoccupations beaucoup plus terre à terre.
Pour Noël, le père du même nom m’a offert 2 tabourets. Un peu vintage, l’un rose, l’autre noir, ils viennent de loin. Alors arrivés en sol français, ils sont pris en charge par une société de livraison.
Mercredi 7 janvier. C’était une petite journée, comme une autre, j’étais au boulot, place de la République, les sirènes chantaient en boucle depuis 11h45 et j’avais les yeux scotchés sur le fil d’actu en temps réel du parisien.fr depuis 2h quand mon téléphone a vibré :
- Bonjour Madame R. ?
- (c’est ma maman Madame R. mais soit, qui es-tu ?) Oui !?
- Bonjour j’ai un colis pour vous, vous êtes chez vous ?
- Euh… bah non ! (c’est à dire qu’il est 14h24 là donc non… je « travaille » / je scotche sur mon ordi sans rien comprendre de ce qui se passe en ce bas monde)…
- Ok pas de souci, je laisse un avis de passage et vous pourrez planifier pour qu’on repasse.
- Ah ! O-Kayy... (vous semblez avoir l’habitude de vous déplacer pour rien, mais après tout pourquoi pas, c’est une organisation comme une autre, pourquoi contacter les gens en amont pour planifier une livraison après tout ?)
Jeudi soir, je me connecte sur le site pour voir ce qu’on me propose comme horaire de re-livraison. Je suis chez moi le lendemain, alors je choisis le vendredi 9 janvier. Je m’attends à cocher un créneau horaire…
Non.
Vendredi 9 janvier.
Entre 9h et 18h.
Soit.
Le lendemain, vendredi 9 janvier donc, je m’absente un peu plus d’une heure de chez moi en gardant bien à proximité mon téléphone pour accourir au moindre appel de « mon » livreur. A 14h30, de retour dans mon salon, je reste scotchée sur ma télé, mon téléphone se décharge sur Twitter, 3 des onglets de mon navigateur web sont connectés sur des sites d’info. Après deux assauts dignes des blockbusters ‘ricains, je réalise que je n’ai pas de nouvelle de mon tabouret (oui, j’en ai commandé 2 mais seulement l’un des 2 est en chemin…). Je me dis que peut-être les évènements ont compliqué le planning de mon livreur.
Sauf que le lendemain, je découvre un nouvel avis de passage dans ma boîte aux lettres. Ah. Donc en fait on ne m’a même pas appelée pour me prévenir cette fois. Soupir…
Ironiquement, je réalise grâce au parcours de ce tabouret ces 3 derniers jours que le monde continue de tourner comme si de rien n’était finalement.
Je me connecte à nouveau sur le site. J’ai grillé toutes mes cartes. Ma seule chance de pouvoir enlacer mon tabouret rose : me rendre au dépôt, à Gennevilliers. Dans les 10 jours.
« Nous sommes ouverts du lundi au vendredi de 9h à 12h30 et de 14h à 18h ». Bien. Bien, bien, bien. Je jette un œil sur le plan : à vue de carte Mappy ça me semble pas trop loin du RER. En bonne parisienne qui ne conduit pas, et perdue dès qu’elle a passé le périph, c’est jouable.
Le vendredi suivant, 16 janvier, c’est donc en RER que je quitte PIM (Paris Intra-Muros). 4 stations de RER. Ça peut sembler peu. C’est « à côté ». Sauf quand on rate son RER C de 14h18 direction Pontoise, à 2 minutes près. Alors on est bon pour attendre celui de 52. Et 30 minutes, sur un quai de RER, c’est long.
Finalement, rapidement (une fois dedans) je passe « de l’autre côté » du périphérique. C’est tout un monde qui s’ouvre devant moi et arrivée à la station Gennevilliers, en sortant du train, je retrouve l’horizon. Alors c’est là qu’il se cachait cet horizon gris de janvier 2015 ? À Gennevilliers ? (Il faut habiter un sixième étage à Paris pour avoir un minimum de perspectives. J’habite au deuxième).
Mon téléphone m’enjoint à marcher un petit quart d’heure jusqu’à l’entrepôt convoité. J’ai l’air d’une parisienne perdue accrochée à son smartphone. Parfois les apparences sont ce qu’elles sont. Devant un cube de tôle ondulée et entrecoupée de fenêtres fumées je m’arrête. C’est là. J’y suis (me dit le point rouge sur ma carte virtuelle).
La grille s’ouvre par magie et je trouve l’accueil. Je remets mon bon de livraison au jeune homme qui me rapporte un grand carton. Bien que pas bien lourd c’est encombrant. Je me débarrasse du superflu et commence à râler.
- Pas de prise de RDV, blablabla, pas de créneau horaire blablabla, 9h à 18h, j’ai quand même une vie blablabla, même pas un coup de fil cette fois blablabla, Gennevilliers du lundi au vendredi blablabla, heureusement le RER mais sinon, vous vous rendez compte blablabla !!
Son regard se trouble. Oui il sait. Il comprend. En général ils ne travaillent pas avec des particuliers.
Raaaah on ne peut plus râler tranquillement ! J’ai presque envie de lui faire un câlin, lui qui n’y est pour rien.
- OK. Bah au moins j’ai dit ce que j’avais à dire alors euh… Merci.
45 minutes plus tard (ballade en terre inconnue, RER – je l’ai eu tout de suite ! - et métro : tout compris) mon tabouret rose en métal trouvait sa place dans mon salon. Son copain noir devrait le rejoindre prochainement. Alors il n’est pas impossible que je retourne à Gennevilliers.
Depuis le monde a recommencé à tourner. Mais c’est une autre histoire.