Un métier que tout le monde envie. Un métier qui fait rêver. Rien qu'à le prononcer, on en frissonne. A l'entendre, on en soupire. Qui n'a pas le secret désir d'être contacté(e) par un téléopérateur au timbre grave ou rauque ? Quel homme n'a pas apprécié d'entendre la voix chaude et sensuelle d'une téléopératrice ?
J'ai fait ce métier. Pour vous, je dévoile mes coulisses de cette expérience professionnelle... mémorable.
J'avais, enfin, achevé mes longues études et attendais désespérément de faire mon entrée dans le monde merveilleux du travail. Un monde qui, vraisemblablement ne m'attendait pas avec autant d'impatience que moi et se passait fort bien de mes services. Perspicace, je me doutais qu'il ne serait pas aisé de trouver l'emploi de mes rêves (ou au moins dans mon secteur) aussi, détestant être inactive, j'avais proposé mes services à une boîte d'intérim. Celle-ci m'a rapidement contacté pour un entretien pour un poste exceptionnel dans une entreprise spécialisée dans le management de centres de contact et la relation client. Présenté comme ça, ça donne envie.
Afin de tester mes compétences après une présentation de ma petite personne, nous avons fait une simulation. Je devais l'appeler pour lui vendre un produit de mon choix. J'avais alors préparé un argumentaire sur... mon téléphone portable de l'époque, d'une marque suédoise que je ne citerai pas et que j'appréciais beaucoup. En moins de quelques minutes, je l'avais convaincue et décrochais ainsi mon passeport pour l'entretien avec l'entreprise.
Là encore, j'ai brillamment réussi. En même temps, il s'agissait d'être attentif à leur discours et de répondre ensuite à des questions sur papier pour s'assurer qu'on les avait bien compris. Je venais de passer les 18 dernières années à écouter des profs, j'étais encore assez opérationnelle à ce niveau. Je décrochais donc le sésame pour devenir téléopératrice et prendre des commandes pour une grande marque de VPC* !
Pendant une semaine, nous avons été formés à ce dur métier pour en connaître tous les rouages. Ce qu'on doit dire, ce qu'il ne faut pas faire, comment utiliser le logiciel, comment faire une vente additionnelle, comment diriger ce grand moment téléphonique pour faire le plus d'appels possible en une heure. Après cela, nous étions jetés dans le bain pour faire nos preuves.
C'était parti pour trois semaines. Nous étions la dernière vague de ce recrutement. Face à nous, les visages des « anciens », déjà traumatisés. Le casque visé sur la tête, le regard plongé sur notre écran, nous n'étions que des machines face à d'autres machines. « Marque VPC bonjour, Bistouflette à votre écoute. Que puis-je faire pour vous ? ». Étonnamment, personne ne m'a jamais répondu : « Ben c'est pour passer une commande, c******* ! ». Quand tout se passait bien, nous déversions notre discours pour mener la commande à son terme dans un délai le plus court possible : identification, commande, validation des articles, lieu de livraison, paiement. Mais tout cela, c'était sans compter sur les clientes qui entendaient mener la danse.
Et vas-y que j'ai pas mon numéro de client, que je veux tout de suite choisir mon lieu de livraison, que je veux finalement changer ma commande, et puis tiens, et si je passais ma commande comme ça à la sauvage, sans la préparer, avec la téléopératrice au bout du fil pendant que je feuillette mon catalogue pour faire mon choix. A la limite, j'm'en fous, c'est à elle que ça coûte 0,34 centimes la minute ! Et nous avions la pression, nous pauvres téléopérateurs. Nos petits chefs nous écoutaient, nos grands chefs étaient susceptibles de faire de même, notre client VPC aussi. Ces derniers, vicieux, pouvaient même nous tester en se faisant passer pour des clients. Je suis quasiment sûre que j'en ai au moins eu une fois. C'était louche cette femme qui voulait que je lui répète tout. Normalement, on ne donne les disponibilités des articles qu'une fois les avoir tous saisis mais là, elle voulait savoir à chaque article. Une fois passées au deuxième, elle voulait connaître sa disponibilité, je m'exécutais, alors, elle voulait que je lui redise pour le premier. Et ainsi de suite tout le long de la commande. Dans ma tête, les mots grossiers fusaient mais, rien ne sortit de ma bouche, j'avais trop peur de faire une boulette.
Plus amusant, j'ai eu une dame d'un certain âge qui déplorait de ne plus trouver de fond de robe dans le catalogue. Je lui répondis en avoir vu, feuilletai le catalogue et le lui confirmai. Elle m'a alors demandé de lui commander ce que je voyais. Je lui ai tout de même fait une description du produit avant pour être sûre et lui ai donc commandé plusieurs fonds de robe !
Une autre fois, je me suis retrouvée avec une interlocutrice qui paraissait imbibée. Elle voulait commander des draps housse. Ce fut un calvaire. Elle ne savait plus la couleur, ne trouvait plus la référence. J'avais beau l'inviter à rappeler plus tard (tu me fais perdre mon temps Madame, je ne vais pas faire mon quota d'appels), lorsqu'elle aurait trouvé ses articles, rien à faire. Après vingt minutes d'un échange qui m'a saoulé à mon tour, j'ai commandé des draps housse pêche !
J'ai tenu le coup. Les trois semaines sont passées avec leur lot de clientes (oui car le plus souvent, c'était des femmes) désagréables, comme celle à qui mon chef a fini par dire : « Mais je ne vais pas vous les fabriquer, vos bottes ! ». Mais il y a aussi de bons moments. La solidarité entre téléopérateurs désespérés qui échangent sur leurs pires appels, le logiciel en panne. Ah ouais, c'était bon ça. Je battais des records grâce à ça. Mes appels entrants ne duraient que quelques instants mais étaient comptabilisés ! Sur les conseils avisés d'une collègue expérimentée, j'avais même appris à me faire passer pour un répondeur automatique. J'adorais entendre les gens parler au faux répondeur « Allo ? », « Beuh, c'est un répondeur ! ». Mais je crois que le meilleur moment, ce fut quand je suis tombée sur la mère d'une amie ! Franchement, une telle coïncidence ne peut être un hasard. Alors que je vérifiais son identité (nom, adresse, numéro de téléphone), je lui demande : « Vous avez bien une fille qui s'appelle Moumoute, qui est née tel jour, qui a fait ses études à tel endroit... ? ». Je l'ai senti surprise voire interloquée de constater que je savais tant de choses. Alors je me suis identifiée et du coup, elle m'a passé ma pote ! On a bien ri ! Surtout que c'était une petite dégonflée qui envoyer sa mère passer sa commande de sous-vêtements !
Je n'avais pas dû trop mal me débrouiller car une chef est venue me voir vers la fin de cette expérience pour me proposer de remettre ça mais cette fois, pour des enquêtes par téléphone !
Alors, ai-je accepté cette alléchante proposition ? La suite dans un prochain article.
*VPC : Vente Par Correspondance
Source photo : www.photo-libre.fr