Pour terminer mon challenge un mois = un classique de 2015, en décembre je suis allée chercher un roman de 2015, justement, mais pas n’importe lequel, un qui pourra se prévaloir du titre de “classique”.
Grand prix du roman de l’académie française et élu meilleur livre de l’année toute catégories confondues par le magazine Lire, 2084, La fin du monde, nous projette dans un futur fictionnel où, après de multiples conflits dont un nucléaire particulièrement dévastateur, l’empire de l’Abistan, supposément unique empire au monde, règle la vie de l’ensemble des habitants. Tout est contrôles, règles, et délations, mais officiellement le dévouement dans la foi et la facilité de la pensée unique ne sont là que pour le plus grand bonheur des habitants.
2084 est une suite si l’on veut, une référence c’est certain, à l’immense 1984 de Georges Orwell. Les deux livres sont construits de façon similaire : un système bien en place, un héro (Ati dans le cas présent) qui, hasard de la vie commence à tiquer, et viennent les questions, la quête, l’envie de voir au delà des ordres établis.
Paru pour la rentrée littéraire de septembre, le livre dénonce l’intégrisme, l’obscurantisme et la domination de certaines pensées soi-disant fondées sur la religion qui n’auraient pour seul but, que de contrôler les peuples. Le vocabulaire de l’Abistan est ainsi réduit à son minimum, l’Histoire se limite à celle que l’on raconte à un instant T tout en sachant qu’elle pourra, un jour, changer. La libre circulation, elle, n’est que pure folie : pourquoi donc aller voir ailleurs ? On a dit qu’il n’y avait rien, ailleurs.
Ainsi Boualem Sansal adapte l’histoire de cette emprise sur un peuple tout entier car si Orwell a écrit son roman en 1949 (au début de la guerre froide) sur les bases d’un état totalitariste où se jouerait encore, régulièrement, des affrontements est / ouest, l’auteur de 2084 nous évoque, en 2015, un monde où le religieux pourrait s’emparer de nos pensées et de nos perspectives.
L’avertissement de l’auteur en ouverture de roman se veut ironiquement très clair : ce livre n’est que pure fiction, “Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle”.
Les premiers mots : Le lecteur se gardera de penser que cette histoire est vraie ou qu’elle emprunte à une quelconque réalité connue.
Les deniers : …ceux qui ont rompu avec les lois divines pour s’adonner au vol et au crime.
Je ne vais pas vous mentir, le livre souffre de longueurs, descriptions et mise en situation. Il faut des mots pour décrire un monde que l’on construit, et si Boualem Sansal sait les manier à merveille, il n’empêche qu’il en faut beaucoup, au détriment parfois de péripéties qui tardent à réveiller le roman.
Mais l’histoire est loin de laisser indifférent. Bien au contraire. 2084, à l’image de son inspiration américaine m’a laissé sur le sentiment résiduel d’un roman que je n’oublierai jamais, soulevant des questions et réflexions personnelles sur la construction d’une histoire, mais plus générales sur la construction de nos points de vue.
Morceaux choisis :
- Page 26 :
« Sans témoin pour la raconter, l’Histoire n’existe pas, quelqu’un doit amorcer le récit pour que d’autres le termine. »
- Page 67 :
« Comme tout un chacun, sauf les pèlerins et les caravaniers qui en savaient un peu plus long, Ati n’avait aucune idée de ce qu’était le pays. Il l’imaginait immense, mais que veut dire immense si on ne voit pas de ses yeux, si on ne touche pas de ses mains ? Et que sont les limites si on ne les atteint jamais ? »
- Page 103 :
« Si d’aucuns avaient pensé qu’avec le temps et le mûrissement des civilisations les langues s’allongeraient, […] voilà tout le contraire : elles avaient raccourci, rapetissé, s’étaient réduites à des collections d’onomatopées […] ce qui ne permettait aucunement de développer des pensées complexes et d’accéder par ce chemin à des univers supérieurs. À la fin des fins régnera le silence et il pèsera lourd, il portera tout le poids des choses disparues depuis le début du monde et celui encore plus lourd des choses qui n’auront pas vu le jour faute de mots sensés pour les nommer. »
- Page 241 :
« Reconstituer un monde disparu est toujours à la fois une façon de l’idéaliser et une façon de le détruire une deuxième fois puisque nous le sortons de son contexte pour le planter dans un autre et ainsi nous le figeons dans l’immobilité et le silence où nous lui faisons dire et faire ce qu’il n’a peut-être ni dit ni fait. Le visiter dans ces conditions c’est comme regarder le cadavre d’un homme. »
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