C'est une démarche reconnaissable de loin. Celle de 2 amies, proches, sûrement, très proches même. Le pas est lent, régulier, d'un rythme machinal, le genre de pas que l'on fait les uns après les autres parce qu'on est debout alors autant marcher, mais certainement pas dans le but d'aller quelque part en particulier. Celle de gauche a la main droite dans le dos de la seconde. Je suis encore assez éloignée de la scène, mais je sens bien que l'accolade est appuyée. On veut faire sentir le contact.
Parfois, celle de gauche, donc, ajoute un petit mouvement à sa main, de haut en bas. De quoi rappeler la présence de ces 5 doigts qui ne sauraient se faire oublier. Elle a le regard fixe devant elle. Parfois un regard vers son amie, mais si peu.
De toute façon elle, celle de droite, ne la regarde pas. Elle ne regarde pas non plus où elle va. Elle se laisse guider inconsciemment par cette main dans son dos, les yeux baissés vers le trottoir.
Il me reste encore 10 mètres avant de les rattraper, mon propre pas étant bien plus assuré. Je pourrais imaginer que c'est un couple qui se balade, tout simplement. Mais 10 mètres en arrière, j'ai la certitude que ce n'est pas le cas. La façon dont se positionne la main et la position des deux corps, sûrement, me fait me dire que la situation est on ne peut plus banale : la jeune fille de droite est en larmes, celle de gauche écoute et peut-être, tant bien que mal, ponctue sa présence réconfortante de quelques phrases, de-ci de-là. Si celles-ci n'ont pas vocation à résoudre un problème qui ne se solutionnera de toute façon pas le temps de cette marche, elles permettent au moins de signifier l'intérêt, la bonne compréhension, la disposition d'une amie dont l'écoute ne changera sûrement rien au souci, mais change tout au moment.
En quelques secondes je les ai rattrapées. Évidemment j'avais raison, malheureusement la demoiselle au regard rivé vers le trottoir s'exprime dans une langue que je ne maîtrise pas. Ma curiosité restera donc insatisfaite. Me reste cependant un sentiment rassurant. Car si l'allure de ces deux nanas m'est reconnaissable à plus de 30 mètres, c'est que j'ai moi-même été celle qui scotchait ses yeux sur ses pieds, ou celle qui ajustait sa main dans le dos de l'autre. J'ai moi-même exprimé le bordel de mes pensées dans un sanglot ou celle qui ponctuait tant bien que mal l'insoluble par des phrases qui ne servaient à rien d'autre qu'à dire "je suis là".
Je serais bien incapable d'assurer qu'entre nous c'est "pour toujours", ce dernier F qui fait l'essence même de la BFF (Best Friend Forever). Je ne sais que trop bien comme les amitiés pour toujours se travaillent dans la durée. J'ai cependant gravé en moi des moments, pour toujours, c'est certain, des marches comme ça, qui ne disent rien de plus que "on est debout alors autant marcher". Et leurs opposés aussi. Ces moments où tout est juste, impeccable, et ça rigole ça rigole, sans forcément que le moment soit mémorable, c'est un plus, mais loin d'être une obligation. Seule l'impression résiduelle est importante.
Il y a une sorte d'amour inconditionnel entre nous, celui qui nous fait voir au delà de certaines humeurs, de nos différences de point de vue, des oublis ou des ratés. Un truc aussi qui fait que malgré nos choix de vie pas toujours identiques (et ces derniers mois peut-être même radicalement opposés), on se soutient. Ou du moins on s'écoute. Et quand ça rate, on réessaye.
Cette semaine peut être un peu plus que les autres, nos vies font des pas de côté aussi symétriques qu'opposés. Mais je garde mon téléphone à portée de main, prête à entendre sa bouleversante nouvelle ou à lui annoncer la mienne.
Ce matin, j'ai croisé deux nanas dans une posture que je connais très bien. Il est réconfortant, quand on voit deux personnes s'aimer et s'entraider, de savoir que l'on a dans sa vie, nous aussi, ce special someone.
Image : Flick / Kirstin