Le jet d’œuf visant Jordan Bardella le 30 novembre 2025 à Moissac aurait pu n’être qu’un incident parmi d’autres dans la longue liste des agressions symboliques qui jalonnent la vie politique française. Mais le président du Rassemblement national a choisi d’en faire un marqueur fort, évoquant une « brutalisation du débat démocratique » et pointant un « silence stupéfiant » de la classe politique.

Une indignation qui aurait pu convaincre une partie de l’opinion… si les réseaux sociaux n’avaient pas, comme souvent, une mémoire redoutable. Car un tweet de 2017, publié alors que Jordan Bardella était membre de l’équipe de campagne de Marine Le Pen, refait surface. Ce jour-là, Emmanuel Macron, en pleine campagne présidentielle, reçoit un œuf au Salon de l’Agriculture. Bardella réagit avec humour : « Quoi de n-œuf Emmanuel Macron ? ».
Une pique moqueuse, légère, presque potache. Rien d’anormal pour un jeune responsable politique cherchant de la visibilité. Mais en 2025, le contraste avec sa posture indignée actuelle ne passe plus inaperçu. C’est précisément ce décalage qui alimente, depuis quatre jours, un torrent de commentaires. Les internautes n’ont pas manqué de mettre en avant le double discours du parti d’extrême droite, qui dénonce aujourd’hui ce qu’il juge être une banalisation de la violence politique, alors qu’il en riait hier.
Le RN face au miroir des réseaux sociaux
Le RN a toujours été très actif sur les réseaux, utilisant ces plateformes comme un levier stratégique pour toucher ses sympathisants. Mais ici, ce sont les internautes qui tiennent la barre et remontent l’historique. Le tweet de 2017, exhumé avec enthousiasme, fait désormais figure de symbole : celui d’un parti prompt à dénoncer lorsqu’il est visé, mais silencieux ou amusé lorsqu’un adversaire est la cible.
Ce que les internautes pointent, c’est autant l’incohérence que la rapidité avec laquelle les élus du RN brandissent une posture victimaire. L’argument d’une « attaque inqualifiable » contre Bardella est jugé disproportionné par certains, d’autant que plusieurs figures politiques – de François Hollande à Éric Zemmour – ont déjà été enfarinées, œufées ou bousculées pendant leurs déplacements.
L’ironie, très présente sur X, permet aux utilisateurs de souligner à quel point le parti semble alterner entre dérision et indignation selon l’identité de la victime. Une stratégie risquée, car elle expose immédiatement les archives. Et ces archives racontent tout autre chose que la gravité martelée ces derniers jours.
Une agressivité symbolique devenue habituelle en politique
Les agressions symboliques – jets d’œufs, farine, confettis, tartes à la crème – existent depuis longtemps dans la vie politique. Elles traduisent souvent une forme de contestation théâtrale, parfois puérile, mais rarement violente.
En 2012, François Hollande avait été enfariné. En 2021, Emmanuel Macron a été visé par un œuf lors d’un déplacement. En 2022, Éric Zemmour a également été la cible d’un projectile à Moissac.
La plupart du temps, ces incidents sont qualifiés de regrettables mais ne donnent lieu ni à une indignation collective, ni à un emballement médiatique prolongé. Ils deviennent même parfois des séquences virales, transformées en gifs et détournements humoristiques.
Le jet d’œuf contre Bardella aurait pu suivre cette trajectoire. Pourtant, le RN a choisi d’en faire un acte politique majeur. Ce choix éditorial, en quelque sorte, suscite davantage de débats que le geste lui-même.
Une stratégie politique qui interroge
Le RN a pris l’habitude, depuis plusieurs années, de concentrer sa communication sur la dénonciation d’un climat de violence dont il se présente comme victime privilégiée. La narration repose sur l’idée que ses représentants seraient constamment pris pour cible par ceux qui refusent l’expression démocratique.
Mais en insistant sur le « silence » de la classe politique, Jordan Bardella semble oublier que ce type d’événement touche de nombreux responsables d’horizons divers. Le contraste entre son indignation de 2025 et son humour de 2017 crée mécaniquement un effet de dissonance. Et cet effet est amplifié par la viralité des réseaux.
Pour une partie de l’opinion, ce tweet ressuscité désamorce la posture victimaire actuelle. Pour d’autres, il rappelle simplement que la politique n’est jamais à l’abri de ses archives.
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