En août, j’ai laissé trainer L’Œuvre au Noir de Marguerite Yourcenar jusqu’à mi septembre. Et puis déménagement oblige, nouvelle vie aussi un peu, et besoin de souffler sur mon challenge 1 mois = 1 classique, ce n’est que le dernier jour de septembre que j’ai ouvert La Peste de Camus. A la lecture des premières 60 pages, je pensais rattraper mon retard en un claquement de doigts.
Clac.
Mais passée la tension des premières semaines de la ligne temporelle de la narration, une fois entrée dans la maladie finalement, j’ai lâché le rythme de ce roman de septembre qui se sera étendu sur l’ensemble d’octobre.
La peste est l’histoire de la peste. La maladie qui envahit Oran dans les années 1940 (le livre est paru en 1947).
Une fiction documentée pour laquelle certains voient en la peste une allégorie du nazisme et de toutes les oppressions politiques.
Dans tous les cas, La peste est beaucoup plus que l’histoire d’une maladie. C’est la chronique d’une époque et des hommes de cette époque. C’est une immersion au près de personnages attachants, parfois sombres ou énigmatiques. Les premières pages se dévorent, car on sait évidemment dans quelle direction on va, et la tension est palpable. Mais la suite s’ancre dans le quotidien qu’un narrateur, dont on ne connaîtra le nom qu’en toute fin de roman, essaye de nous conter malgré sa relative redondance. Au-delà des malades et des diagnostics, il y a donc surtout l’humain face à la maladie, face à la mort, face à la mise en quarantaine et l’éloignement des proches. Le rythme de la vie face à la noirceur de « la peste ».
Les premiers mots : Les curieux événements qui font le sujet de cette chronique se sont produits en 194., à Oran.
Les derniers : La peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse.
La Peste est le roman le plus célèbre d’Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957. Et en lisant ce roman, je ne peux m’empêcher de repenser aux quelques mots de Modiano, prix Nobel à son tour il y a près d’un an : il situait les écrivains comme des témoins de leur temps, des points d'ancrage indispensables pour mieux appréhender la réalité dans laquelle ils font évoluer leurs histoires. La peste, ou plutôt sa retranscription de la nature humaine est effectivement un témoignage
Les 279 pages de mon édition Folio sont accessibles. Camus maîtrise son sujet et nous embarque dans les faubourgs d’Oran pour une histoire manquant certainement de panache parfois, mais dont l’atmosphère restera présente bien après l’avoir refermé.
Morceaux choisis :
- Page 39 :
« La presse, si bavarde dans l’affaire des rats, ne parlait plus de rien. C’est que les rats meurent dans la rue et les hommes dans leur chambre. Et les journaux ne s’occupent que de la rue. Mais la préfecture et la municipalité commençaient à s’interroger. Aussi longtemps que chaque médecin n’avait pas eu connaissance de plus de deux ou trois cas, personne n’avait pensé à bouger. Mais en somme il suffit que quelqu’un songeât à faire l’addition. L’addition était consternante »
-Page 41 :
« Le mot de « peste » venait d’être prononcé pour la première fois. A ce point du récit qui laisse Bernard Rieux derrière sa fenêtre, on permettra au narrateur de justifier l’incertitude et la surprise du docteur, puisque, avec des nuances, sa réaction fut celle de la plupart de nos concitoyens. Les féaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu’ils vous tombent sur la tête. Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres. Et pourtant pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus. »
- Page 71 :
« Dès lors, nous réintégrions en somme notre condition de prisonniers, nous étions réduits à notre passé, et si même quelques-uns d’entre nous avaient la tentation de vivre dans l’avenir, ils y renonçaient rapidement,, autant du moins qu’il leur était possible, en éprouvant les blessures que finalement l’imagination inflige à ceux qui lui font confiance. »
Page 124 :
« Mais le narrateur est plutôt tenté de croire qu’en donnant trop d’importance aux belles actions, on rend finalement un hommage indirect et puissant au mal. […] Les hommes sont plutôt bons que mauvais, et en vérité ce n’est pas la question. Mais ils ignorent plus ou moins, et c’est ce qu’on appelle vertu ou vice, le vice le plus désespérant étant celui de l’ignorance qui croit tout savoir et s’autorise alors à tuer. »
Page 263 :
« Mais lui, Rieux, qu’avait-il gagné ? Il avait seulement gagné d’avoir connu la peste et de s’en souvenir, d’avoir connu l’amitié et de s’en souvenir, de connaître la tendresse et de devoir un jour s’en souvenir. Tout ce que l’homme pouvait gagner au jeu de la peste et de la vie, c’était la connaissance et la mémoire. Peut-être était-ce cela que Tarou appelait gagner la partie ».
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