Voici une question compliquée et très personnelle. Pourtant, depuis quelque temps, j'éprouve le besoin d'en parler, de m'exprimer à ce sujet. Peut-être est-ce ma grossesse, peut-être mes trente ans passés... Je ne sais pas. Mais le poids est là et les questions également.
Peut-on pardonner le suicide ?
Au bout de tant d'années, je ne suis pas encore capable de répondre à cette question. Je dirais bien que non, mais cette sagesse qui me fait parfois défaut me forcerait à dire, au contraire, que oui.
J'ai perdu ma grand-mère, je devais avoir 12 ans, j'étais au collège, jeune et naïve petite gamine rêveuse. Ma grand-mère était tout mon monde. Je passais, depuis tout bébé, beaucoup de temps avec elle, chaque vacances scolaires et bien des week-ends également. Elle était plus que ma grand-mère, elle était un peu (beaucoup) ma maman. Elle m'aimait, me gâtait, me dorlotait. J'étais à cette époque le seul et premier petit-enfant et elle profitait beaucoup de ma présence. Elle me tricotait des pulls, m'a offert mon premier lapin et même un caneton, me permettait de m'évader en pleine nature dans ce village de campagne où elle habitait. Me préparait de bons petits plats, moi si maigre. Jamais de boîtes, jamais de congelés, toujours des produits frais et des plats, soupes, gâteaux... maisons. Elle me câlinait, veillait à ce que je sois heureuse. Et avec elle, je l'étais. Oh j'étais jeune, insouciante, parfois capricieuse, mais j'étais épanouie, bien plus que chez moi avec des parents distants dans leur façon de vivre avec leur fille.
Et puis un jour le téléphone a sonné très tôt le matin, juste avant d'aller au collège. Mes parents dormaient, j'ai donc répondu, tombant sur l'un de mes oncles. Comme je refusais d'aller réveiller mon père (rentré depuis peu, il travaillait souvent de nuit), il m'a dit d'une voix dure :
"Mamy est morte, va réveiller ton père !"
Choquée et terrifiée, je me suis exécutée et ai du dire à mon tour à mon père pourquoi j'osais le réveiller. Lorsque je l'ai vu pleurer au téléphone, j'ai compris que toute cette triste histoire était bien réelle. Pas de collège pour moi ce jour-là.
Ma grand-mère s’est suicidée. Ce détail a mis un moment à arriver à mes oreilles et de façon difficile, avec des détails que je n'aurais pas dû entendre, mais la famille éloignée ne fait pas toujours attention à certains détails, justement, comme la présence d'un enfant dans la pièce. Elle s’est pendue dans le jardin, sur la balançoire des petits-enfants (je n'étais plus la seule à ce moment-là). De quoi vous traumatiser des balançoires pourtant tant adorées ! Je n'ai pas eu le droit d'assister à l'enterrement, décision de ma mère visiblement. Mon deuil n'en a été que plus difficile, d'un seul coup, plus de vacances à la campagne, je devais rester chez moi, en ville, avec des parents loin d'être aux petits soins. Je ne voyais plus ma grand-mère, point.
J'ai maintenant 34 ans, je vais être maman dans quelques mois et je ne comprends toujours pas. Oh la vieillesse l'aurait certainement fait partir bien avant de découvrir cet arrière-petit enfant, mais tout de même, elle n'a pas laissé au temps sa chance ! Elle ne m'a pas permis de grandir plus longtemps près d'elle, de me fortifier, de faire mes armes, de lui poser plein de questions. Tout ce qu'elle a fait, c'est de me laisser un vide, avec un trou béant et une colère immense. Si grande...
Je n'ose pas imaginer de vivre un tel deuil, un suicide avec un père ou une mère. Ce doit-être affreux. Encore plus terrible ! Et vraiment impardonnable.
La question reste en suspens pour moi, sans réponse.
Peut-on vraiment pardonner le suicide, lorsqu'on ne peut que le subir et qu'on ne le comprend pas ?
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