Je dois avouer y être allée un peu à reculons…
Déjà parce que le marque-page de ma sœur, à qui j’ai piqué le livre, était resté bloqué sur la page 134. Or elle a adoré Raison et Sentiment qui m’avait largement gonflé (lu en VO entre 2 auberges de jeunesse en Australie, ce n’était pas non plus forcément la meilleure façon de découvrir Jane Austen je dois l’admettre).
Ensuite, parce que sans trop savoir, je situais l’époque et le style littéraire pas trop loin de notre ami Zola. Le Lagarde et Michard m’a depuis confirmé qu’il s’agissait bien des « réalistes et naturalistes », courant littéraire du 19ème qui, comme son nom l’indique, s’inscrit dans la réalité… J’anticipais donc des pages de descriptions à n’en plus finir, ce qui est relativement le cas. Il ne s’agit pas nécessairement de « descriptions », au sens pur et dur, mais bien de doubles pages que l’on termine en se disant qu’on a complètement décroché, sans pour autant que le cour de l’intrigue en soit bouleversé. Des doubles pages souvent emplies de métaphores qui ont elles, un peu vieillies.
Enfin parce que Flaubert lui-même en parle comme d’un « roman sur rien ».
En 2 mots comme en 928 (les 928 en question se poursuivent ensuite, ne vous inquiétez pas, je ne sais pas résumer) : dingo et chiant. Voilà ce que je peux en dire.
Chiant pour tout ce que je viens d’écrire. Je suis décidément une adepte de littérature moderne avec, dans la mesure du possible, des phrases courtes et vives. Néanmoins, Gustave me fait réfléchir. Car dans cette littérature actuelle souvent plus ironique (et donc de parti pris – j’ai tendance à croire que l’un va avec l’autre), l’auteur peut aller jusqu’à s’immiscer dans « l’expérience littéraire », à devenir peut-être un personnage à part entière.
Chez Flaubert, tout est plus subtil, et c’est là que le livre devient dingo. C’est l’histoire de madame Bovary (Jean Rochefort le dirait mieux que moi), mais les 30 premières pages nous parlent quasiment exclusivement de Charles. C’est un homme, un vrai, qui vit des choses pas toujours faciles, un homme respectable, un médecin même.
Puis vient Emma. Une jeune fille, douce, délicate.
La rencontre. Les promesses d’avenir. Aaaaaah ! L’avenir, celui que l’on fait rimer avec amour, parce qu’on en rêve, on l’a lu dans les livres. Sauf que l’amour ne peut venir que de l’étincelle, et qu’Emma, ce n’est pas avec Charles qu’elle va l’avoir.
Je ne vais pas vous refaire l’histoire (Jean Rochefort le ferait mieux que moi), mais ce qui m’impressionne, c’est la capacité de Flaubert à faire bouger la perception des personnages de façon subtile, sans forcément que vous sachiez nommer une page sur le retournement de situation. Sa vision et sa perception sont omniprésentes au travers de la lecture. Mais il se fait invisible, vous donnant l’impression de vous laisser faire votre petit bonhomme de chemin dans cette histoire où la psychologie des personnages est fine, et la transgression, d’autant plus pour l’époque, omniprésente. Au fil des 478 pages de mon édition Pocket (à 1,99 euros, excusez moi du peu), évolue une femme qui, malgré qu’elle soit dépeinte via le courant littéraire réaliste, nous embarque dans sa rêverie et, avec elle, dans le tourbillon de ses illusions et désillusions.
Morceaux choisis :
- Page 137 : « Un homme, au moins, est libre ; il peut parcourir les passions et les pays, traverser les obstacles, mordre aux bonheurs les plus lointains. Mais une femme est empêchée continuellement. Inerte et flexible à la fois, elle a contre elle les mollesses de la chair avec les dépendances de la loi. Sa volonté, comme le voile de son chapeau retenu par un cordon, palpite à tous les vents ; il y a toujours quelque désir qui entraîne, quelque convenance qui retient. »
- Page 186 : « Donc il fut résolu qu’on empêcha Emma de lire des romans. L’entreprise ne semblait point facile. La bonne dame s’en chargea : elle devait quand elle passerait par Rouen, aller en personne chez le loueur de livre et lui représenter qu’Emma cessait ses abonnements. N’aurait-on pas le droit d’avertir la police, si le libraire persistait quand même dans son métier d’empoisonneur ? »
- Page 234 : « Elle se répétait : « J’ai un amant ! un amant ! » se délectant à cette idée comme à celle d’une autre puberté qui lui serait survenue. Elle allait donc posséder enfin ces joies de l’amour, cette fièvre du bonheur dont elle avait désespéré. Elle entrait dans quelque chose de merveilleux où tout serait passion, extase, délire ; une immensité bleuâtre l’entourait, les sommets du sentiment étincelaient sous sa pensée, l’existence ordinaire n’apparaissait qu’au loin, tout en bas, dans l’ombre, entre les intervalles de ces hauteurs. »
- Page 316 : « Mais ce bonheur-là, sans doute, était un mensonge imaginé pour le désespoir de tout désir. Elle connaissait à présent la petitesse des passions que l’art exagérait. »
- Page 419 :
« - De grâce restez ! je vous aime !
Il la saisit par la taille.
Un flot de pourpre monta vite au visage de Mme Bovary. Elle se recula d’un air terrible en s’écriant :
- Vous profitez impudemment de ma détresse, monsieur ! Je suis à plaindre, mais pas à vendre !
Et elle sortit. »