Pour mon anniversaire, mon meilleur ami m'a offert Les Lois fondamentales de la stupidité humaine de Carlo Maria Cipolla. Et même si « cipolla » signifie « oignon » en italien, il s'agit d'un monsieur tout à fait sérieux. Professeur d'histoire de l'économie, il a enseigné à Berkeley.
Mais si l'auteur est sérieux, l'ouvrage l'est moins. Sous ses allures pseudo-scientifiques, l'essai est une étude humoristique sur cette espèce si répandue qui nous gâche la vie : les gens stupides.
Toujours pour mon anniversaire, mon homme a décidé, quant à lui, de m'offrir une paire de Louboutin. Et vous verrez bientôt que ces deux cadeaux sont intimement liés.
La troisième loi fondamentale édictée par Cipolla (qui est aussi sa Règle d'Or) définit les critères de la stupidité d'un individu. Aussi puis-je l'affirmer, chez Louboutin, j'ai eu affaire à un vendeur stupide.
Pourtant, j'étais prévenue. Chez le célèbre chausseur, Madame Tout-Le-Monde est excessivement mal reçue. En plus, j'ai eu l'outrecuidance de pénétrer en tongs dans la boutique.
Nous sommes accueillis par un « Je peux vous renseigner ? » qui ressemble davantage à un « Mais qu'est-ce que vous faites là ?! ».
Je jette mon dévolu sur le modèle Fifi platine et le demande en 40. Mille ans plus tard, on me l'apporte. J'essaie et déclare aussitôt :
- C'est trop petit.
- Ah, non, pas du tout, c'est votre taille. Répond le vendeur.
- Non, ça me fait mal...
- Moi, je vous dis que c'est exactement votre taille.
- Non. J'ai les pieds très sensibles. J'ai déjà mal aux orteils, c'est pas possible. Je ne peux pas marcher.
- Plus grand, ça va être trop grand.
- Je veux bien voir le 41, quand même.
- Moi, je vous déconseille...
- Oui, mais je veux bien voir quand même. C'est moi qui vais les porter.
- Oui, mais moi, je suis là pour vous conseiller.
- D'accord, mais là je vous dis que ce n'est pas du tout possible.
- Elles vont se faire, c'est du cuir.
- Elles vont se faire au prix de ma chair et de mon sang. Ça ne me convient pas.
Il s'en va de mauvaise grâce, et revient.
- Ah, tout de suite, c'est mieux.
- Oui, mais regardez derrière, ça baille, c'est trop grand pour vous.
- Peut-être mais au moins je n'ai pas mal. Je porte toutes mes chaussures comme ça. J'ai les pieds sensibles.
- Ça ne vous va pas, vous allez casser le talon en 2 jours.
Drôle d'argument marketing, tiens. Ça fait 15 ans que je porte des talons, je n'en ai cassés aucun, même en voyant large niveau pointure. Et toi, ta godasse à 450 €, elle va se péter en 2 jours ?
- Je les préfère quand même.
- Sinon, pour voir, je vous ai apporté le même modèle, dans une autre couleur, mais en 40, 5.
Evidemment, elle était là la solution : le 40,5. Mais pourquoi ne m'a-t-il pas dit tout de suite qu'il faisait les demi-tailles ? Pourquoi a-t-il d'abord tenu à me faire passer pour une cruche capricieuse ?
En l'absence de la couleur de mon choix, nous sommes repartis les mains vides. Un nouvel arrivage est prévu en octobre. Mais du coup, je me pose la question : est-ce que je veux réellement acheter des chaussures dans une boutique où l'on a essayé de me faire croire que j'étais folle et où l'on m'a traitée avec un tel mépris ?
C'est ici que nous retrouvons le professeur Cipolla et sa Règle d'Or : Est stupide celui qui entraîne une perte pour un autre individu ou un groupe d'autres individus, tout en n'en tirant lui-même aucun bénéfice et en s'infligeant éventuellement des pertes.
Le vendeur n'a rien gagné. Non seulement il ne m'a rien vendu, mais en plus il m'a poussée à écrire un article qui vient grossir les témoignages de clientes mécontentes. Il écorne ainsi un peu plus le prestige de sa marque.
Je n'ai rien gagné non plus, puisque je ne sais même plus si je les veux, moi, ces foutues Louboutin...
Ce vendeur est donc – officiellement – stupide.
Merci, monsieur Cipolla !
Crédit photo : Pamplemouss