Lundi, moi et ma face d'arabe, on a repris le chemin de Paris. Comme toujours, j'ai pris mon petit train de banlieue, musique à fond et tête dans le guidon. Je sais déjà que je vais passer une sale journée. Je suis fatiguée. J'ai passé mes nuits devant BFM TV et même mon anniversaire a été reporté. Avoir 30 ans le 14 novembre 2015, putain, quelle idée...
C'est donc là, sur le quai que j'observe ce qui se passe autour de moi. On est là, on se regarde. On se renifle presque. En fait, on a peur. Au début, je ne saisis pas. Je comprends qu'après vendredi soir, on soit tous tendus à l'idée de prendre les transports. Pas loin de moi, il y a un jeune homme. Ça pourrait être mon petit cousin. Ce que j'essaye poliment de dire, c'est qu'il est bronzé comme moi. On entre dans le train, on s'assoit chacun dans un compartiment vide. On est contents : on a de la place. Un petit bonheur de la vie.
Puis, le wagon se remplit et je ne vois pas tout de suite le vide qu'il y a autour de moi mais il y a des gens debout et je ne comprends pas pourquoi : j'ai trois places pour moi toute seule. Mon cousin fictif est dans le compartiment à côté. On se regarde. On comprend. On est blessés, mais on rit. On rit de bon cœur parce que c'est ça les « Arabes ». On aime rire de tout, des juifs, des blondes, des Belges et surtout de nous.
Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que les personnes qui se sentent agressées, en cet instant précis : c'est nous. Oui, à ce moment-là, vous nous avez pris pour de potentiels ennemis de la France. Vous nous avez confondus avec ces atrocités de Daesh. Ce que vous devez absolument savoir, c'est que nous sommes profondément Français, comme vous.
Crédit photo : Laurence Guenoun
Je travaille dans la mode. Je suis rédactrice depuis quelques années maintenant. J'aime quand c'est beau, que c'est classe et que ça brille. Je vais donc me servir d'une parabole fashionista pour vous expliquer la différence entre les Musulmans de France et les raclures de Daesh : nous sommes des sacs Chanel en cuir véritable, lettres d'or et intérieur satin royal. Eux, ils sont de pâles copies made in China. L'extérieur est presque le même, bien qu'en plastique miteux. L'intérieur est en tissu qui pue avec des sachets cancérogènes et se déchirera dès que tu vas y poser ton porte-monnaie. D'ailleurs, ce n'est pas un Chanel. C'est un Chamel.
Nous, nous ne sommes pas des ennemis de la République puisque nous sommes la République. La France on l'aime et on nous a appris depuis tout petit à la respecter. On est allés à l'école, nos parents ou nos grand-parents étaient analphabètes. Ils nous ont poussés. Encouragés. « Parce qu'en France, tu peux faire de grandes études ». Alors pour nous et toutes les générations avant nous qui nous ont appris à aimer la France tellement fort : ne vous fiez pas à l'emballage.
Cet emballage nous pourrit la vie. Il nous monte les uns contre les autres et qui s'en réjouit ? Daesh, qui pourra recruter encore et encore et cette horrible Marine Le Pen. Ce vautour appuie sur la terreur comme je tape rageusement sur chaque touche de mon ordinateur en nous rabâchant les oreilles avec son insécurité. Marine, il est temps que tu comprennes que notre pays, c'est le tien. Papa chéri ne te l'a pas dit ? Tu veux nous foutre dehors ? Tu vas galérer parce qu'on peut pas aller ailleurs, on est nés ici. Mais que ce soit Daesh ou Marine, c'est pareil. L'un tue et danse sur les tombes des « mécréants ». L'autre regarde et danse sur les tombes « de la France abandonnée ». Vous êtes répugnants.
Qu'est-ce que vous croyez ? Que l'islamophobie va nous plonger dans une dépression si profonde qu'on aura envie de faire gonfler vos rangs, là-bas, en Syrie ? Mais les gars, le racisme on le connaît et on l'aurait connu avec ou sans vous. Marine peut bien parler, son père l'a fait avant et on est toujours là. Parce que la France, on l'aime. Le truc qui change c'est qu'avant c'était du pur délit de faciès. Du racisme irrationnel, parce que t'es caramel. Aujourd'hui, on nous reproche notre religion sauf que pour nous, les Musulmans « normaux », la religion relève de la sphère de l'intime. On viole notre intimité. En souillant notre religion, Daesh c'est nous que tu salis.
Lundi, dans le RER bondé, j'ai vu des gens me regarder comme si j'étais une bête de foire. Une bête dangereuse. Je ne suis pas voilée et j'aime me maquiller mais ça ne suffit plus. Les regards étaient fuyants. On regardait mes vêtements. Je sentais la peur alors j'ai tenté un truc con mais cool : j'ai souri. L'arme fatale 8 !
Là, le Monsieur à côté de moi m'a souri en secouant la tête l'air de dire « Putain, mais qu'est-ce que j'ai été con ! ». La petite Dame très élégante en face de moi, d'une soixantaine d'années a relevé vers moi des yeux brillants d'espoir et le grand Africain avec son bébé dans les bras a fermé les yeux pour me dire ce que j'ai pris pour un « merci ». Ce qui est paradoxal c'est que j'ai trouvé ça injuste. Pourquoi c'est à moi de faire un geste alors que je ne suis coupable de rien ? Pourquoi sourire alors que j'ai encore les joues humides des larmes versées vendredi ? Et en même temps, je comprends. Encore ce foutu emballage.
Ce que vous ne savez pas, c'est que lundi, j'étais à Paris pour aller voir un médecin. Lundi, j'avais les nerfs à vif parce que j'allais savoir si le traitement de ma mère fonctionnait bien. Lundi, j'allais encore une fois être confrontée à ce foutu cancer du sein. Lundi, ma mère, cette Dalida du Maghreb a vu vos regards blessants mais comme elle dit : « S'il suffit de sourire, tout va bien. » Elle va bien aussi. Merci.
Les photos de cet article ont été prises par Laurence Guenoun
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