Cela fait quelques jours que je pense à cette phrase – allez savoir pourquoi.
J’adore Saint Exupery et Le Petit Prince en particulier. A la maison, en l’avait en 3 exemplaires dont un très vieux et superbement illustré. A un moment, j’avais même entrepris d’apprendre ce fameux passage par cœur… Alors voilà ce qu’il m’en reste…
« Vous imaginez ma surprise, au lever du jour, quand une drôle de petite voix m'a réveillé. Elle disait :
- S'il vous plaît... dessine-moi un mouton !
- Hein !
- Dessine-moi un mouton...
J'ai sauté sur mes pieds comme si j'avais été frappé par la foudre. J'ai bien frotté mes yeux. J'ai bien regardé. Et j'ai vu un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui me considérait gravement. Voilà le meilleur portrait que, plus tard, j'ai réussi à faire de lui. Mais mon dessin, bien sûr, est beaucoup moins ravissant que le modèle. Ce n'est pas ma faute. J'avais été découragé dans ma carrière de peintre par les grandes personnes, à l'âge de six ans, et je n'avais rien appris à dessiner, sauf les boas fermés et les boas ouverts.
Je regardai donc cette apparition avec des yeux tout ronds d'étonnement. N'oubliez pas que je me trouvais à mille milles de toute région habitée. Or mon petit bonhomme ne me semblait ni égaré, ni mort de fatigue, ni mort de faim, ni mort de soif, ni mort de peur. Il n'avait en rien l'apparence d'un enfant perdu au milieu du désert, à mille milles de toute région habitée. Quand je réussis enfin à parler, je lui dis :
- Mais... qu'est-ce que tu fais là ?
Et il me répéta alors, tout doucement, comme une chose très sérieuse :
- S'il vous plaît... dessine-moi un mouton...
Quand le mystère est trop impressionnant, on n'ose pas désobéir. Aussi absurde que cela me semblât à mille milles de tous les endroits habités et en danger de mort, je sortis de ma poche une feuille de papier et un stylographe. Mais je me rappelai alors que j'avais surtout étudié la géographie, l'histoire, le calcul et la grammaire et je dis au petit bonhomme (avec un peu de mauvaise humeur) que je ne savais pas dessiner. Il me répondit:
- Ça ne fait rien. Dessine-moi un mouton.
Comme je n'avais jamais dessiné un mouton je refis, pour lui, l'un des deux seuls dessins dont j'étais capable. Celui du boa fermé. Et je fus stupéfait d'entendre le petit bonhomme me répondre:
- Non ! Non ! Je ne veux pas d'un éléphant dans un boa. Un boa c'est très dangereux, et un éléphant c'est très encombrant. Chez moi c'est tout petit. J'ai besoin d'un mouton. Dessine-moi un mouton.
Alors j'ai dessiné.
Il regarda attentivement, puis :
- Non ! Celui-là est déjà très malade. Fais-en un autre.
Je dessinai.
Mon ami sourit gentiment, avec indulgence :
- Tu vois bien... ce n'est pas un mouton, c'est un bélier. Il a des cornes...
Je refis donc encore mon dessin. Mais il fut refusé, comme les précédents :
- Celui-là est trop vieux. Je veux un mouton qui vive longtemps.
Alors, faute de patience, comme j'avais hâte de commencer le démontage de mon moteur, je griffonnai ce dessin-ci.
Et je lançai :
- Ça c'est la caisse. Le mouton que tu veux est dedans.
Mais je fus bien surpris de voir s'illuminer le visage de mon jeune juge :
- C'est tout à fait comme ça que je le voulais ! Crois-tu qu'il faille beaucoup d'herbe à ce mouton ?
- Pourquoi ?
- Parce que chez moi c'est tout petit...
- Ça suffira sûrement. Je t'ai donné un tout petit mouton.
Il pencha la tête vers le dessin :
- Pas si petit que ça... Tiens ! Il s'est endormi...
Et c'est ainsi que je fis la connaissance du petit Prince. »
Antoine de Saint-Exupéry
Le Petit Prince, Chapitre 2, 1943
Alors aujourd’hui, pourquoi ce texte me parle…
Parce que j’ai l’impression que la vie en fait c’est tout à fait ce passage du Petit Prince… Il y a ce que l’on se représente, ce que l’on imagine et puis le réel, qui est parfois bien différent de ce que l’on avait imaginé de prime abord.
C’est bien simple, dans ma vie actuelle, rien n’est en phase avec ce que j’avais imaginé il y a quelques années. [Pourtant je vous assure je l’avais rêvé et imaginé très fort !]
Un exemple simple. Si on avait demandé le portrait-robot de l’homme idéal il y a quelques années, j’aurais répondu : grand, musclé, blond aux yeux clairs et romantique, vous savez le genre de type à écrire des lettres d’amour en vers ou à vous faire des déclarations à la guitare [comment ça, ça n’existe pas ??]. Bref, aujourd’hui, mon amoureux est brun, pas forcément très grand, plutôt gabarit crevette et ses mots d’amour en 5 ans de vie de couple se comptent sur les doigts d’une main [allez chéri, je t’accorde les deux mains !!].
Si on m’avait demandé la qualité principale du job de mes rêves, j’aurais répondu sans hésiter et du tac au tac : la sécurité / stabilité. Aujourd’hui, je suis à mon compte.
Il y a quelques années, je m’imaginais maman très jeune (trop jeune ?). Aujourd’hui, même si je rêve plus que tout de l’être un jour, j’apprécie d’avoir encore le temps de savourer et d’avoir des projets à deux.
Vous voyez le principe… La représentation que l’on fait de notre vie. Et puis ce qu’est notre vie, réellement.
Alors aujourd’hui, mon mouton à moi est peut-être un peu plus gris que ce que j’aurais imaginé, un peu moins bouclé et un peu plus petit, aussi. Mais il est là, réel, vivant. Et finalement, je l’aime comme cela. Tout comme j’aime profondément ma vie. Peut-être moins parfaite, plus aléatoire et cabossée que la vie dont j’aurais pu rêver. Mais c’est la mienne. Et elle me convient comme cela.