Ma chère mère,
En fait, je ne sais pas comment je dois te citer. Maman, mère, génitrice, utérus sur pattes, mère indigne ? Aide-moi, parce que là je suis dans une impasse. C'est ironique bien sûr, pour l'aide, j'entends!
Cela a commencé un fameux 4/08/1986, où tu t'es vue mettre au monde un enfant qui au final n'étais pas vraiment désiré, si ce n'est pour te passer le temps, occuper tes journées. Tu m'as donné la vie, ce fameux cadeau. Merci...
Bon, cette vie aurait sans doute été bien meilleure si tu avais été présente. Si tu avais géré mon éducation. Cette vie aurait sans doute été plus heureuse si tu avais ressenti de quelconques sentiments d'amour envers moi. Si tu m'avais appris ce qu'est l'amour d'une mère pour son enfant, la protection, l'empathie, la sincérité, l'envie de se battre pour la vie, l'avenir de sa fille.
Je serais sans doute plus stable mentalement, mieux dans ma peau si tu avais eu une conscience de mère, si tu m'avais choisie moi plutôt que ton vrai enfant : l'alcool.
Peut-être qu'aujourd'hui, je n'aurais pas sans cesse peur de devenir comme toi, de suivre le même chemin, de faire la même chose, de répéter le même schéma avec ma propre fille. Alors je me surinvestie, je place la barre trop haute. Je place des barrières dans mes relations aux autres, je préfère fuir les relations que je pressens comme néfastes ou celles dont je n'ai aucune maîtrise.
Je croyais ma peine passée, ma douleur enterrée, bien enfouie, que jamais elle ne ressurgirait, que j'avais réussi à combattre ces démons, MON démon, en vain.
A 28 ans, tu es toujours là, tu planes au-dessus de moi comme une ombre, tu me poursuis. Quoi que je fasse, je ne peux m'empêcher de me souvenir de cette phrase que tu as prononcée si souvent : "J'aurais mieux fait de me casser une jambe le jour où j'ai accouché". Celle-ci est bien gravée, à jamais. C'est triste quand même. N'est-ce pas ? Comment une mère peut-elle ouvertement dire ça à son propre enfant ? As-tu ressenti au moins des remords après les avoir prononcées, ces phrases si méchantes ? Question idiote. Si cela avait été le cas, tu ne les aurais pas répétées si souvent.
Comment dois-je faire aujourd'hui pour vivre avec ça ? Cela fait 12 ans que je n'ai plus signe de vie de toi, c'est moi qui l'ai voulu, je te l’accorde. Mais comment dois-je construire ma vie de maman sans avoir eu de modèle ? Sur qui dois-je me reposer quand les soucis envahissent mon esprit ? Vers qui dois-je me tourner quand le spleen me fait de l'œil ?
Est-ce que je pleurerai le jour de ton enterrement ? Viendrai-je seulement ?
J'aimerais avoir le courage de t'envoyer cette lettre. Mais quelles en seraient les réponses, les conséquences ? Serais-je plus heureuse ? Soulagée ?
Alors, je me dis que peut-être, un jour, tu tomberas sur mon blog et liras cette lettre. Tu te reconnaîtras sans mal. Tu te souviens encore de la date de ma mise au monde ? Te souviens-tu encore de ta phrase fétiche ?