La rentrée 2025 s’annonce mouvementée pour les lycéens et enseignants d’Île-de-France. Dès septembre, ils devront passer par une plateforme numérique unique, baptisée Pearltrees, pour accéder aux manuels scolaires. Cette décision portée par la présidente de région,
Valérie Pécresse, suscite une vive controverse : éditeurs, enseignants et opposition politique dénoncent à la fois une mise à l’écart des manuels traditionnels, un risque pédagogique et une fragilisation de la liberté d’enseignement.
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Une révolution numérique imposée
Jusqu’à présent, les établissements d’Île-de-France pouvaient choisir entre manuels papier et manuels numériques, avec une répartition équilibrée. Mais à partir de la rentrée 2025, cette coexistence disparaît : la région impose désormais un passage intégral au numérique.
Concrètement, plus aucun manuel papier ne sera financé par la région, selon les éditeurs. Seule la plateforme Pearltrees permettra aux élèves et enseignants d’accéder aux contenus pédagogiques. En parallèle, le budget consacré aux manuels scolaires chute drastiquement, passant de 75 euros par élève et par an à seulement 16 euros. Résultat : sur les sept à huit manuels nécessaires, seuls deux seront pris en charge.
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pearltrees, la plateforme au cœur du dispositif
Pearltrees, qui centralise désormais l’accès aux ressources, se présente comme un outil collaboratif et modulable. Les cours y sont organisés en « perles », sortes de modules indépendants mêlant textes, exercices, vidéos, photos et même infographies en 3D. L’objectif affiché est de donner aux enseignants une liberté pédagogique accrue, leur permettant d’assembler et d’adapter leurs cours à volonté.
Selon la région, l’utilisation de la plateforme a déjà permis la création de 50 millions de contenus par les professeurs. « L’aspect perlé permet de recomposer son cours, de l’enrichir à souhait. Les enseignants ne sont pas prisonniers de la logique des éditeurs », défend James Chéron, vice-président en charge des lycées.
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La colère des éditeurs
Pour les éditeurs scolaires, la décision de Valérie Pécresse équivaut à un coup de massue. En réduisant le financement des manuels et en poussant vers des contenus « libres » conçus ou validés par la région, la présidente d’Île-de-France marginalise tout un secteur. « On passe d’un investissement de 75 euros à 16 euros par élève, cela pousse mécaniquement les enseignants à utiliser les manuels gratuits proposés par la région », dénonce un collectif d’éditeurs. Pour eux, la question n’est pas seulement économique mais aussi pédagogique.
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Des risques pour la qualité des contenus
Plusieurs acteurs pointent du doigt la qualité discutable des contenus mis à disposition. Exemple marquant : dans un manuel d’Histoire diffusé sur Pearltrees, une photo d’Elon Musk est utilisée pour illustrer le nazisme. Une erreur jugée grave, qui témoigne selon les éditeurs d’un recours parfois maladroit à l’intelligence artificielle dans la conception des supports.
« Nos manuels sont conçus par des enseignants en poste qui garantissent un suivi et une cohérence. L’éclatement des savoirs nuit à l’apprentissage, surtout pour les élèves les plus en difficulté », alerte Valentin Bouvet, directeur général du site lelivrescolaire.fr.
Une « tiktokisation » de l’enseignement ?
Pour certains spécialistes, l’approche modulaire et fragmentée des contenus risque de créer une surcharge cognitive et de fragiliser les repères pédagogiques. Guillaume Montegudet, directeur scolaire et formation du groupe Humensis, va plus loin en dénonçant une « tiktokisation » de l’enseignement. Selon lui, la multiplication de petites unités d’apprentissage, pensées comme des capsules rapides, peut nuire à la compréhension globale et au suivi pédagogique. Les élèves risquent de perdre le fil conducteur qui relie les notions entre elles, et la relation entre professeurs, élèves et parents pourrait s’en trouver affaiblie.
Des inégalités sociales accentuées
Autre inquiétude : le tout numérique pourrait accentuer les fractures sociales. Certaines familles ne disposent pas d’un ordinateur personnel pour chaque enfant ou d’une connexion internet fiable. L’idée de centraliser l’éducation via une plateforme unique pourrait ainsi creuser davantage les écarts entre élèves favorisés et élèves défavorisés. Cette contradiction apparaît d’autant plus flagrante que les autorités sanitaires multiplient par ailleurs les alertes sur la surexposition des jeunes aux écrans.
Un enjeu démocratique
Au-delà des questions pédagogiques, plusieurs voix soulignent un risque démocratique. « Peut-on confier à un acteur unique, imposé par une région, le soin de l’éducation de nos enfants ? », interroge Agnès Botrel, directrice générale de Magnard. Elle met en garde contre les dérives possibles : dépendance à un acteur unique, incertitude sur la neutralité et la pérennité des contenus, risque de manipulation si un futur exécutif régional voulait infléchir les programmes. L’exemple de la Suède, qui après dix ans de tout numérique revient au manuel papier, est souvent cité comme un avertissement.
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Le soutien de l’opposition
Les éditeurs peuvent compter sur le relais de l’opposition régionale de gauche, qui s’est saisie du dossier. Plusieurs personnalités publiques ont également publié une tribune dans Le Monde pour demander un moratoire sur l’imposition des plateformes numériques dans l’éducation. Selon eux, l’enjeu dépasse la simple querelle entre éditeurs et région : il s’agit de préserver la pluralité pédagogique et la liberté des enseignants dans leur manière de transmettre le savoir.
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La région contre-attaque
Face à ces critiques, Valérie Pécresse et ses soutiens défendent leur choix. Pour eux, Pearltrees est une réponse moderne aux besoins éducatifs. Ils estiment que les éditeurs traditionnels sont restés figés dans leurs pratiques et qu’il est temps de proposer aux enseignants des outils plus flexibles et plus interactifs. « Plutôt que de s’élever contre Pearltrees, les éditeurs devraient chercher à moderniser les outils qu’ils vendent », a lancé James Chéron. Pour la région, l’enjeu n’est pas de saborder les manuels, mais d’offrir une nouvelle liberté pédagogique.
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En résumé
La décision de Valérie Pécresse d’imposer une plateforme numérique unique pour les manuels scolaires en Île-de-France à partir de la rentrée 2025 provoque une véritable levée de boucliers. Si la région vante un outil moderne et modulable, les éditeurs scolaires dénoncent une mise à l’écart brutale, des contenus discutables et des risques pour la pédagogie comme pour la démocratie. Entre modernisation assumée et inquiétudes multiples, cette réforme illustre le dilemme actuel de l’éducation : comment intégrer le numérique sans sacrifier la qualité, la diversité et l’égalité d’accès ?
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