Une réponse controversée à une pénurie criante de professeurs
Peut-on enseigner le français au collège ou au lycée sans diplôme d’enseignement spécifique, après un simple entretien d’une demi-heure ? C’est la question qui fait polémique à Dijon, où l’académie a lancé une expérimentation inédite visant à combler le manque croissant de professeurs de français.
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Face à des dizaines de classes dépourvues d’enseignants et à un recrutement en chute libre, la direction académique tente une solution radicale : ouvrir la voie à des enseignants d'autres disciplines pour qu’ils prennent en charge des cours de français, à condition qu’ils aient suivi des études littéraires à un moment de leur formation… et qu’ils passent un oral de 30 minutes. Une initiative qui fait grincer bien des dents dans la communauté éducative.
Le dispositif « enseigner le français » : comment ça marche ?
L’information est tombée le 22 mai dernier, par le biais d’un courrier envoyé à l’ensemble du corps professoral de l’académie de Dijon. À l’intérieur, une proposition étonnante : obtenir une attestation “Enseigner le français” en suivant un processus express, en vue d’assurer des heures dans les établissements manquant cruellement d’enseignants.
Voici les étapes prévues :
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Le professeur intéressé doit fournir un CV et une lettre de motivation, détaillant ses expériences et sa formation initiale, notamment en lettres.
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Il passe ensuite un entretien oral de 30 minutes, incluant :
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Un cours fictif de français de 10 minutes
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Un échange de 20 minutes avec un jury sur sa connaissance des programmes scolaires et sa capacité à transmettre.
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Cette attestation ne constitue pas une titularisation, ni une validation définitive de compétences. Elle est valable un an, et devra être reconsidérée chaque rentrée scolaire.
Des enseignants sans Capes pour assurer le bac de français ?
L’un des aspects les plus critiqués de cette initiative concerne les professeurs potentiels. En effet, le dispositif ne s’adresse pas uniquement à des littéraires ou des enseignants proches du français : n’importe quel professeur, de sport, de physique-chimie ou de mathématiques, peut candidater, tant qu’il a un passé universitaire comportant un peu de littérature ou de langue française.
Ce que dénonce vivement Maxime Lacroix, secrétaire académique de l’Unsa Dijon :
« On crée des profs au rabais, qui pourront potentiellement faire cours à des lycéens jusqu’au bac de français. »
Une colère qui s’ajoute à une défiance déjà forte
Du côté des syndicats, l’indignation est à son comble. Le Snes-FSU, premier syndicat du secondaire, déplore une dérive de plus en plus marquée dans les méthodes de recrutement. Philippe Bernard, co-secrétaire académique dijonnais du Snes, fustige :
« Après le job-dating, les annonces sur Facebook ou les parents qui remplacent les absents, voilà maintenant les profs recrutés en 30 minutes. »
Selon lui, le problème est bien plus profond :
« Ce métier n’attire plus parce qu’il n’est plus reconnu, ni valorisé, ni financièrement, ni symboliquement. »
Et de rappeler que sept postes de profs de français ont été supprimés à la rentrée précédente, alors que plus de soixante classes sont actuellement sans enseignant dans l’académie. Une situation jugée inacceptable, qui pousse les autorités à des expédients d’urgence.
Une mesure révélatrice d’une crise du recrutement dans l’Éducation nationale
Ce dispositif dijonnais est loin d’être un cas isolé. Depuis plusieurs années, le ministère de l’Éducation nationale fait face à une crise majeure de recrutement, notamment dans les disciplines dites « fondamentales » comme les lettres, les mathématiques ou l’allemand.
Les concours de l’enseignement affichent régulièrement des taux de postes non pourvus, et certaines académies ne parviennent tout simplement plus à trouver suffisamment de titulaires pour couvrir l’ensemble des besoins.
En réponse, le ministère a multiplié les solutions alternatives :
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Recours à des contractuels recrutés en quelques jours ;
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Allongement des remplacements par des enseignants non spécialistes ;
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Et même des campagnes sur les réseaux sociaux pour attirer de potentiels candidats.
Mais selon les syndicats, ces pansements ne font que masquer une hémorragie structurelle.
Une rentrée 2025-2026 sous tension
Si le système imaginé à Dijon est censé prendre effet dès la rentrée prochaine, beaucoup redoutent une généralisation à d’autres académies. Il pourrait en effet faire des émules, à condition que les retours soient jugés positifs ou que la situation empire dans d’autres régions.
Le risque à long terme, soulignent les professionnels, serait une déqualification progressive du métier d’enseignant, où la rigueur académique serait remplacée par une logique de bouche-trous.
En résumé : des enseignants formés en 30 minutes pour assurer des cours fondamentaux ?
Le cas de Dijon illustre, de manière saisissante, les limites du système éducatif français face à une crise de vocation profonde. L’idée d’un prof de français recruté après un entretien express, sans Capes ni Agrégation, ne passe pas. Elle cristallise un malaise ancien, nourri par des suppressions de postes, une baisse des salaires réels et un manque de reconnaissance du métier.
Mais pour les élèves, cette situation pourrait bien signifier des cours sans professeurs spécialisés, des lacunes dans les apprentissages… et, à terme, des inégalités accrues selon les établissements et les territoires.
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