Si tu rencontres une comédienne quelque part et que tu ne veux pas la voir fondre en larmes immédiatement, surtout, surtout, ne lui demande jamais: “Dans quel film t’as tourné ?… Je t’ai déjà vue à la télé ?”… Parce que non, la plupart des comédiennes n’ont jamais tourné dans un film et ne sont jamais passées à la télé. Ça te paraît bizarre? Attends, ce n’est que le début.
Payer pour travailler
Comédienne, c’est un métier où tu n’as qu’une envie, qu’un objectif, qu’une obsession: TRAVAILLER. Là, où la plupart des salariés rêvent de leurs prochaines vacances ou passent des journées entières à calculer la durée des RTT qui leur restent à prendre, la comédienne donnerait tout ce qu’elle a pour avoir seulement un jour de travail dans le mois. Elle est même prête à payer pour ça !
Payer pour apprendre son métier
La plupart des écoles sont payantes et ne sont pas spécialement bon marché. Les rares qui sont gratuites ne sont accessibles que par un concours très élitiste. Mais à la différence des autres métiers, les diplômes des écoles de théâtre (payantes ou gratuites) ne donnent aucune garantie de trouver du travail. Au contraire même, puisque les réalisateurs s’amusent, depuis un certain temps déjà, à recruter directement dans la rue : “Leur jeu est tellement plus naturel !”. C’est un peu comme si, après avoir fait deux ans de prépa et deux ans d’Ecole d’Ingénieur, la DRH d’une grosse boîte te disait : “Désolée, je préfère recruter au supermarché, les “vrais gens” ont plus d’imagination pour construire des ponts suspendus originaux”. WTF.
Payer pour se faire connaître
Sans photo, pas la peine d’espérer décrocher le moindre rendez-vous. Il suffit de deux ou trois “bonnes photos” (traduisez : photos qui coûtent cher et qui doivent être renouvelées au minimum tous les deux ans). Aujourd’hui, les photos ne suffisent plus et ceux qui n’ont pas de bande démo, ni de site Internet n’ont qu’à aller se rhabiller. Ce qui est drôle, c’est que pour faire une bande démo, il faut avoir des images… mais de quoi ? Vu que pour l’instant, tu n’as rien tourné.
Mais rassure-toi, c’est possible de “tourner sa bande démo” moyennant quelques centaines d’euros supplémentaires, bien sûr. Sinon, il existe toujours “le plan court-métrage” : c’est tellement sympa de rencontrer de jeunes réalisateurs, de tourner gratuitement pendant trois semaine dans le Périgord avec une équipe dynamique qui y croit (obligé, vu que personne n’est ni payé, ni défrayé). Et ensuite, tu as enfin tes images pour ta bande démo (qui sont parfois (souvent) complètement noires, le chef op aussi était un débutant ou inaudibles, vu que l’ingé son avait oublié de brancher son micro).
A l’ANPE, il y a quelques temps, une annonce a failli avoir raison de ma détermination : “Pour court-métrage, recherche comédienne de 82 ans, pour rôle secondaire”. Je me suis vue à 82 ans, en train de monter difficilement les marches de l’ANPE spectacle et de découvrir (enfin) une annonce qui allait me permettre de faire ma bande démo…
Payer pour s’inscrire sur des sites d’annonces d’emploi
Le mieux, c’est d’avoir un agent. Mais pas la peine d’espérer rencontrer un agent sans bande démo. Sauf que c’est l’agent qui est censé vous décrocher les castings qui vous feront tourner. C’est le serpent qui se mord la queue, me diras-tu, non sans raison. Il y a parfois de super annonces et je suis contente d’avoir déboursé 80 euros par an quand je tombe sur :
“Recherche comédienne/chanteuse pour la tournée Blanche-Neige – 30 représentations”
Wouah, je me dis : “je ne suis pas chanteuse, mais j’ai les cheveux noirs, la peau très blanche, je mets un rouge à lèvre bien rouge et le job est à moi !”. Sauf qu’ensuite, je lis :”Pour le rôle d’un nain”.
Pour une fois que l’annonce ne stipulait pas : “Cherche asiatiques sachant jouer de la cornemuse”, ou “Cherche femmes à fort embonpoint pouvant faire des figures acrobatiques sur skate-board”, ou “Cherche artistes de rue à l’aise avec les serpents”… Ok, je vais arrêter mon régime et investir dans une cornemuse (les reptiles, ce n’est pas mon truc).
Payer pour prendre soin de notre apparence, car c’est notre matière première
Eh oui, quand on a la chance de passer un casting, on a intérêt à y aller avec de beaux cheveux soyeux (coiffeur), des ongles propres et colorés (manucure), bien habillée ou carrément lookée en fonction du personnage (shopping), sourire avec de belles dents blanches bien alignées quel que soit le personnage (dentistes et orthodontistes), pas de kilos en trop mais plutôt en moins (salle de sport)… Et je ne te parle même pas de la dépression qui guette la jeune comédienne à l’apparition de sa première ride (c’est trop horrible).
Les castings
Après avoir franchi toutes les étapes précédentes et une fois que ton compte épargne est complètement vide, donc, tu as enfin rendez-vous pour un casting ! (Je précise qu’il est assez compliqué d’avoir un travail à côté, vu que tu dois être dispo 24h/24h, au cas où…). Moi, j’adooooore passer des castings !
Rien que la salle d’attente, déjà, est un supplice. Il n’y a que de super belles nanas (sourire ultra-bright, cheveux ondulés l’Oréal, corps parfait ou refait) qui te sourient hypocritement, soulagées de voir enfin arriver une fille qui ne risquent pas de leur piquer le rôle (comme si tout se jouait sur l’apparence, non mais je rêve ! Cf mon article la vie des autres est-elle plus belle que la nôtre ?). Pour épargner les âmes sensibles, je te fais grâce du récit des trois heures d’attente dans ce charmant environnement.
La salle de casting, c’est comme un interrogatoire de police : aveuglée par la lumière, tu ne sais pas à qui tu parles, on te dit rarement : “Bonjour” et encore moins : “Comment ça va ?”, mais seulement: “profil droit” et “profil gauche” (comme pour les photos d’un casier judiciaire) et puis “tes mains” (c’est pas pour les menottes, c’est pour vérifier qu’elles sont montrables en gros plan, d’où l’importance de la manucure…) et ensuite, on te colle dans les bras une ardoise avec ton nom dessus et tu dois sourire à la caméra (c’est la seule différence avec le commissariat où le sourire n’est pas forcément nécessaire d’après ce que j’ai compris).
La directrice de casting se tourne vers son assistant (en m’ignorant superbement) :
- Qui l’a envoyée …? T’es sûr que c’est pour le rôle de la kidnappeuse …?! C’est halluuuuucinant...!
- Mais moi, j'ai toujours rêvé d'être kidnappeuse ! Depuis que je suis toute petite…! (quand je réalise ce que je viens de dire, je cherche un endroit où me cacher mais manque de bol, je suis filmée et en gros plan en plus).
- Désolée, on t’a fait venir pour rien, me répond l’assistant, celle qu’on cherche est homosexuelle et dirige une agence de com. La casting director (comme on dit dans le métier) accompagne ma sortie d’un regard exaspéré. Elle aurait dû faire actrice... Elle est tellement naturelle !
Pourquoi, pourquoi je n'ai pas l'air d'une directrice d'agence de com homosexuelle? Et qu’est-ce qu’ils en savent que je ne suis pas homosexuelle, moi d’abord ? Je suis une homosexuelle qui joue de la cornemuse. Ah, ça t’en bouche un coin, hein ?
Je m’en fiche parce qu’il y a quelques années, j’ai décroché un rôle sur photo (sans casting). C’était une grosse production américaine avec Matt Damon : “La mémoire dans la peau”, tu l’as vu ?Rappelle-toi, il y a une course poursuite près de la Gare du Nord. Moi, j’étais dans le bus. Mais si, le bus qui pile devant la voiture de Matt. Tu te souviens ? Le bus était conduit par un cascadeur. Et ils font ça bien, les américains, on était 80 dans le bus ! Et on a recommencé la prise au moins dix fois. Bon ok, c’était de la figuration. Ok, même en passant le film au ralenti, même en faisant un arrêt sur image avec un zoom à 200%, on ne voit pas les passagers du bus. De toute façon, les meilleures scènes sont souvent coupées au montage, c’est bien connu. Mais je suis comédienne, moi ! J’ai tourné avec Matt Damon !
Bon, en vrai, comme la plupart de mes camarades, je survis dans ce métier, parce que je fais du théâtre, tu sais ce truc bizarre où il y a des vrais gens devant toi et où tu ne peux pas changer de chaîne. Alors non, je n’ai pas fait de film et je ne suis pas passée à la télé, alors s’il te plaît ne me demande pas, comme la plupart des gens que je rencontre : “et pourquoi tu ne fais pas de cinéma, ça ne t’intéresse pas ?”.
Et si tu veux que je te raconte la suite de mes aventures (comme la fois où j’ai eu le plus gros trou de mémoire de ma vie), t’as qu’à laisser un commentaire juste en dessous. Ah, ça fait rêver, la vie d’artiste…!
Crédit photos : © iko © Photographee.eu © Sunshine Pics