Humeurs

Travail, ton univers impitoyable…

08 mai 2016 - 08 : 00

Flashback. J’ai 21 ans et je vais de petit boulot en petit boulot, jusqu’au jour où je décroche un stage dans un quotidien national.

Tout commence dans le meilleur des mondes. Je suis affectée au service Communication, en tant qu’assistante de Madame Ellen. Sue pour les intimes. Mais ça, je ne le sais pas encore.

Revenons à nos moutons. Madame Ellen est tout sourire, Madame Ellen me couve, Madame Ellen voit grand. Elle me présente au reste de l’équipe, les trois grâces comme elle les surnomme officiellement,  les trois garces comme elle les surnomme officieusement... La première, Kate, est discrète et sincère. La seconde, Natalia, est lunatique et aigrie. La dernière, Alicia, est sournoise et intéressée.  Il y a également une quatrième personne : l’assistante d’Ellen. Pendant les deux ans où j’ai travaillé à son service, il y a eu un véritable défilé d’assistantes aux dents  longues. Peu sont restées malgré leur ambition dévorante. Deux ont fait plus long feu que les autres, mais ont fini par jeter l’éponge après avoir vainement tenté de récupérer mon poste.

Dès le premier jour, j’ai la chance de ne pas être préposée à la machine à café ou à la photocopieuse. On me donne rapidement des responsabilités. Très vite, Madame Ellen ne participe plus à la conférence de presse et m’envoie à sa place. On me regarde comme une bête curieuse, comme une intruse. Je fais de mon mieux pour m’adapter. Je réponds avec humour aux piques, j’ignore les remarques déplacées des vieux cochons misogynes (!) et je reste toujours souriante, respectueuse et humble. Petit à petit, on fait preuve de plus de gentillesse envers moi, et on me plaint de travailler pour Madame Ellen, sans m’en dire davantage. 
 

Là où ça se complique…

Au fil du temps, mon stage est renouvelé sur plusieurs sociétés. Puis on me fait un premier C.D.D., qui  sera lui aussi multiplié selon le nombre de sociétés du groupe. Après avoir travaillé à des horaires normaux du lundi au vendredi, je travaille désormais de 6h du matin à 22h, et trois dimanches par mois. Je ne suis pas payée en heures supplémentaires – ce n’est pas faute d’avoir demandé une augmentation.  En plus de travailler pour Madame Ellen, je dois également travailler pour la Direction le matin, et aider Kate, Natalia et Alicia dans leurs tâches. J’ai toujours deux bras et deux jambes,  pas davantage, et mon pauvre cerveau est continuellement en alerte (rouge).

Madame Ellen ne supporte pas la solitude. Dès qu’elle le peut, elle fait de moi sa demoiselle de compagnie. Je dois user des stratagèmes les plus judicieux pour sortir rapidement de son bureau et respirer un air moins lourd. Madame Ellen parle fort, aime attirer l’attention et jure comme un charretier. Madame Ellen a la hantise de vieillir et aussi celle de grossir. Au fond, Madame Ellen me ferait de la peine si elle n’était pas aussi méchante et vipère.

Grâce à Madame Ellen, j’ai eu la chance d’exercer un métier passionnant, de faire des rencontres extraordinaires. Mais le jour où l’on m’a enfin proposé un C.D.I., c’est avec un immense soulagement que j’ai refusé : je ne connais rien de pire que de travailler pour Madame Ellen. Le Diable s’habillait en Prada, maintenant il s’habille en Mugler…

Article rédigé par Bunny Kokeshi

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