Famille

6 ans, des mots et des ricochets

08 avril 2015 - 12 : 00
Son père et puis sa sœur aînée et maintenant lui. Il aurait préféré y échapper, se soustraire à la loi implacable de la génétique, mais non, il va devoir mener le même combat. Comme eux, il va ressentir l'angoisse, le désarroi et la honte devant ses camarades. Très vite, il décryptera les lueurs d'amusement, de dédain et de moquerie dans leurs yeux. Il appréciera puis détestera l'empathie et la compassion d'âmes bien attentionnées.

Il n'a pas tout de suite compris ce qu'il se passait. Ça avait l'air si facile pour les autres enfants, pourquoi en allait-il autrement pour lui ? Pourquoi les mots se bousculaient-ils ainsi dans sa tête sans pouvoir s'échapper naturellement ? Il les sentait lui chatouiller la gorge, puis la langue, prêts à jaillir de ses lèvres entrouvertes, mais cette dernière barrière devait leur paraître infranchissable parce qu'ils s'arc-boutaient contre elles, luttant avec rage. Quand, enfin, au prix de multiples efforts ils parvenaient à s'évader, ils ne s'envolaient pas dans l'air, légers, mais faisaient de nombreux ricochets, pour retomber platement dans un silence assourdissant.

Il aurait pu, suivant ainsi l'exemple de ses aînés, attendre patiemment que ces ricochets cessent d'eux-mêmes. Mais un jour que les plaisanteries de quelques écoliers se firent plus pesantes qu'à l'accoutumée, à tout juste 6 ans, il décida de prendre les choses en mains. Il ouvrit tout grand son cœur à sa maman qui, heureusement pour lui, l'écouta très attentivement, touchée par la souffrance émanant de son cher petit garçon. Sans tarder, elle décida de l'emmener chez le docteur des ricochets, appelé aussi orthophoniste. Il trouva cette dame vraiment très gentille et rassurante. C'est à ce moment-là qu'il apprit qu'il souffrait de bégaiement, et qu'il n'était pas seul dans ce cas. Alors c'est le cœur rempli d'espoir et tous les sens en éveil que chaque mardi après-midi, il se rendait dans son cabinet pour travailler.

begaiement

A la maison, aux devoirs scolaires vinrent donc s'ajouter les exercices de l'orthophoniste. Pour lui, ce n'était pas un problème, il aimait les devoirs. Mais très vite, il comprit que malgré la bonne volonté de ses parents, le temps leur manquerait pour s'en occuper assidûment. Entre leur travail, sa sœur qui entrait dans l'adolescence et le petit dernier qui commençait à trotter partout, il voyait ses parents sans cesse débordés. Mais il ne baissa pas les bras pour autant car une autre idée commença à germer dans sa tête.

Il l'a mis à exécution un jeudi, le jour de la semaine où il déjeunait chez sa tatie. Alors qu'ils étaient dans la voiture, en route pour l'école, il se lança :
- Tatie ?
- Oui, mon poussin ?
- Tu sais, l'orthophoniste, elle m'a donné des exercices à faire à la maison.
- C'est bien. Et tu les fais ?
- Ben non, on n'a jamais le temps...
- Ah...
- Tatie, on pourrait les faire les jeudis ?
- Bien sûr !
- On mangerait vite et après on les ferait.
- D'accord mon poussin.
- Bon, ben, j'apporterai mes fiches et il faudra les plastifier.
- Pas de problème. Tu m'expliqueras comment faire pour les exercices, d'accord ?
- D'accord tatie !

Pendant que le cœur de sa tatie se serrait, le sien se faisait plus léger. Souriant, il était prêt à affronter une nouvelle après-midi d'école.
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