Culture

Pourquoi je suis si fan de Pink

27 mai 2014 - 19 : 00

J’ai douze ans, mon premier iPod, le nano, je le voulais vert, je l’ai eu gris, ça n’a aucune importance. C’est l’été, on vient de retirer le plâtre de mon poignet gauche, je suis en Corse, j’ai vingt et une chanson sur mon iPod. Le matin, tôt, et le soir avant que le soleil ne se couche, je m’assois seule sur un coin de pelouse et j’écoute cette chanson, la piste douze. Avec elle, je découvre Pink. Et je deviens fan. En même temps, avec un pseudo pareil, ça ne pouvait qu’arriver. Il y a déjà cette tristesse sans fond en moi, les prémices, mais je n’en sais rien encore. J’admire Pink, je rêve de lui ressembler, d’avoir son look de rockeuse et son apparente assurance.


J’ai treize ans, mes parents se disputent, beaucoup, trop. Moi, dans ma chambre dont j’ai choisi le rose des murs, je prends mon iPod et je pousse le volume à fond pour couvrir les cris. J’ai acheté « I’m not dead ». Je découvre « Nobody Knows » que j’écoute pour dormir, « Dear Mr President » dont je ne comprends pas tout à fait la portée et « Conversations with my 13 years old self » qui me parle plus que tout. Mais ma préférence va toujours à celle-ci. Plus ils se disputent, plus j’augmente le volume. Les violons prennent de la puissance en même temps que mes sanglots, je ferme les yeux à m’en faire mal. Cette chanson se retrouve définitivement marquée, égratignée par leurs insultes en fond sonore.


J’ai quatorze ans, « Funhouse » vient de sortir, j’écris, mes parents se séparent. J’écoute « Sober », je chante sur « Funhouse » et « Bad Influence ». La Star Académy vit sa dernière année et Pink y fait une apparition. Je façonne mon premier personnage à mon image. Je fais de mon hymne le sien, celui de ce double de papier qui a la famille dont je rêve loin des déchirements et des larmes. Pink passe en concert dans ma ville. Je m’y rends. Mon premier concert sans parents. La voir sur scène ravive des choses en moi, j’ai envie de chanter à nouveau. En rappel du spectacle, elle chante cette chanson et alors que toute la salle la reprend en cœur, moi comprise, je ne peux m’empêcher de laisser les larmes couler.


J’ai quinze ans, j’envie Pink et ses cheveux roses, je l’admire. Je voudrais l’imiter. Je n’en ai pas le courage. Je suis perdue, mal dans ma peau. Un jour, je m’effondre. Trois jours de larmes sans livre, sans écriture, sans musique. Quand je me réveille de ce cauchemar, la première chanson que j’écoute, c’est celle-la, encore et encore. Je danse dessus, le volume à fond jusqu’à en avoir mal partout. J’évacue la colère et le chagrin. Je danse et je pleure mais je n’ai plus peur.  Je réapprends à m’aimer petit à petit. J’avance pas à pas, je ne sais pas encore quoi faire de ma vie mais « Who Knew ». Je commence à écrire des chansons.


J’ai seize ans, mes cheveux ne sont pas roses mais blonds, j’ai un nouvel iPod qui, lui, est rose. J’ai un petit frère tout neuf que j’aime plus que tout, je rencontre celle qui sera une âme sœur. « Greastest hit... so far » m’est offert par le Père Noël. Je me déhanche sur « Raise Your Glasses » et « Heart Break Down », je découvre « Family Portrait » qui me touche au plus profond de moi et « Fucking Perfect » qui m’aide à apprivoiser mon reflet dans le miroir. Elle n’est plus la piste douze mais la piste neuf. Je révise mon Bac en l’écoutant en fond sonore. Je suis publiée dans Libération et je célèbre ça en chantant ces trois minutes vingt-huit. Je m’épanouis et je grandis. Je baisse la garde et je le laisse entrer dans ma vie.


J’ai dix-sept ans, dernière année de lycée. Il ne m’adresse pas la parole durant trois semaines. Le soir, en rentrant, j’étouffe mes larmes et ce silence assourdissant en poussant le volume à fond. C’est le début des montagnes russes émotionnelles comme celles qui servent de toile de fond au clip de la chanson. Je passe le Bac et je fais mes fiches de philo en chantant à pleins tubes. J’obtiens mon Bac, j’ai du mal à réaliser qu’une page se tourne. J’arrive chez moi hagarde et je pleure de fierté et de soulagement sur les violons. J’ai un peu peur aussi parce que l’avenir est incertain. J’ai mon premier travail ; le soir, dans ma tente d’animatrice, je l’écoute avant de m’endormir comme une berceuse rassurante.


J’ai dix-huit ans et je vois le rêve qui me fait vibrer depuis deux ans s’effilocher entre mes doigts jusqu’à disparaître. Je passe des heures, vidée d’avoir utilisé trop d’énergie à brasser de l’air, allongée sur mon lit à fixer le plafond, le casque sur les oreilles. Alors que je me sens chuter, une main me rattrape, la sienne. Je tombe amoureuse de lui qui m’avoue adorer cette chanson. Moi qui croyais ma vie tracée, je découvre que le destin est plein de détours. Je ne voulais pas m’éprendre de quelqu’un, je ne voulais pas faire des études en France, mais « Who Knew » ce que la vie nous réserve. Je crois que je deviens adulte.


J’ai dix-neuf ans, un amoureux depuis un an, un frère, une sœur, bientôt deux, j’écris encore et toujours, je reprends des cours de chant. Je suis transportée par « Try » et « Just Give Me A Reason » extraite du nouvel album « The Truth About Love ». Je me remets à rêver. Doucement, ma vie reprend un sens. Mais quand j’angoisse la nuit, c’est cette chanson qui revient encore une fois à mes oreilles, rassurante comme un doudou. Bientôt, j’aurais vingt ans, je rêve d’écrire pour Pink, de chanter en duo avec elle. Et je continue de le faire parce que ça ne coûte rien et qu’on ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve. Je ne sais pas ce qui se passera demain mais, après tout, « Who Knew ».

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